À nous la Malting! : la vision d’un collectif au service du bien commun
Avec le projet À nous la Malting! – lauréat de la cohorte 2022 de l’Incubateur civique de la MIS – la participation citoyenne s’inscrit au cœur d’une démarche tournée vers la lutte à la pauvreté et à l’exclusion sociale dans ce quartier particulièrement touché par la gentrification.
Laisser sa marque dans le paysage de Saint-Henri
C’est une maison rose, perchée sur une malterie. On y vient à pied, mais on n’y grimpe pas. Elle s’admire d’en bas, loin des tuiles tombées…
Crédit photo : Cinzia Orsina
C’est à l’automne 2019 que l’ancien poste de contrôle des silos de la Canada Malting a pris ses couleurs. Façade rose vif et volets verts, bacs à fleurs ou décorations des fêtes selon la saison, Little Pink est l’œuvre d’un groupe d’artistes qui entretient soigneusement son anonymat et, avec lui, le mystère autour de cette réalisation. Qui donc ose escalader les 45 mètres de la tour de cet édifice en ruine pour en peindre le sommet ?
Si cette installation attire depuis peu la curiosité de la population montréalaise, cela fait bien plus longtemps que le site entier de la Canada Malting est l’objet de convoitise. L’usine datant du début du XXe siècle est la plus ancienne et la dernière malterie désaffectée ayant résisté à la destruction au Québec. Vestige architectural d’une activité industrielle de transformation du malt, l’imposant bâtiment est à l’abandon depuis les années 1990.
Dès lors, le site attire les projets d’habitation, pas tant pour ses tuiles originelles en terracotta que pour son emplacement, idéal selon les promoteurs immobiliers à l’implantation de condos de luxe. Dans un quartier où le revenu médian annuel des familles est pourtant nettement inférieur à celui du reste de Montréal (56 704 $ comparativement à 64 039 $), pas moins de 2000 condos y ont été construits entre 2005 et 2011 contre seulement 147 logements sociaux¹. Alors qu’une personne résidente sur trois vit en situation de faibles revenus, ce développement urbain soutenu occasionne la spéculation immobilière. Rien que depuis 2011, les loyers ont augmenté de 25%², imposant à 42% des ménages d’y consacrer plus d’un tiers de leurs revenus.
Comme d’autres quartiers faisant face à cette situation, Saint-Henri est en proie à la gentrification. L’accès au logement abordable est de plus en plus difficile, le tissu social se délite et dans le cas de la Malting, c’est tout un pan historique du quartier qui se trouve menacé.
Le potentiel d'action de la mobilisation citoyenne
Quartier marqué par son passé ouvrier, Saint-Henri est habité par une population majoritairement locataire (71% en 2018³), exposée à tout moment à l’éviction qui oblige à s’éloigner des secteurs névralgiques pour continuer à se loger. Alors, lorsqu’en 2014, la Corporation de développement Solidarité Saint-Henri (SSH) organise une consultation publique, les résidentes et les résidents, ainsi que les organismes locaux répondent présents pour identifier les besoins du quartier et ses enjeux d’aménagement. On y aborde des sujets tels que la création de zones d’emploi avec l’implantation de services et de commerces de proximité, la préservation du patrimoine, le verdissement et surtout, le manque de logements abordables.
Mais les terrains vacants se font rares à Saint-Henri, à l’exception du site de la Malting. Les différents projets immobiliers haut de gamme qui y ont été envisagés dans la dernière décennie ont finalement été abandonnés, laissant le champ libre à d’autres propositions. Impliquée activement dans ces revirements de situation, la communauté henriçoise continue sur sa lancée et se met à imaginer un tout autre projet pour cette friche, qui viendrait combler les besoins identifiés lors des concertations tout en préservant son architecture caractéristique.
Le collectif À nous la Malting! naît en 2017 avec la conviction que la réhabilitation de la Malting doit se faire avec et pour la population: « Le quartier connaît une transformation rapide qui vient bousculer sa dynamique et détricoter son tissu social. Nous défendons un projet qui va contribuer à reconstruire l’esprit du quartier et à donner du sens à son développement. » – Shannon Franssen, membre du collectif À nous la Malting!
Adapter son approche militante
Un projet de reconversion de cette envergure, tel que présenté dans le plan d’affaires rédigé par le collectif avec le soutien financier de Centraide et de l’arrondissement du Sud-Ouest, est une succession d’étapes clés soumises à négociation, à commencer par la mise en réserve du terrain pour le soustraire au marché immobilier privé. Non sans rappeler les années de lutte du Bâtiment 7, figure de proue dans la réappropriation d’un espace industriel au Canada, le collectif part en quête d’appuis politiques et de financements en défendant sa vision d’un projet 100% communautaire : coopérative d’habitations, production alimentaire, sauvegarde du patrimoine et implantation de services et d’espaces publics.
Les actions se succèdent, mais les réponses des différents paliers gouvernementaux changent au fil des mandats des personnes élues. Puis la pandémie vient freiner la mobilisation du collectif et révèle la fatigue des membres les plus actifs. Si militer est en effet nécessaire à certains moments afin de normaliser un changement de paradigme et contribuer à la transformation sociale, c’est aussi prendre le risque de se brûler que de se consacrer entièrement à cette forme d’engagement. Face au découragement, difficile alors de garder un collectif soudé et ancré dans une vision commune sans faire évoluer sa stratégie d’impact.
Miser sur l’Incubateur civique pour sortir de l'impasse
Mobiliser le plein potentiel des actrices et des acteurs de changement en renforçant notamment leur résilience face aux obstacles, c’est justement le pari de l’Incubateur civique.
Lorsque David Grant-Poitras et Eunbyul Park (qui laissera ensuite sa place à Shannon Franssen) intègrent la cohorte 2022, le noyau dur du collectif a conscience d’être dans une impasse. Des étapes cruciales comme l’acquisition du terrain restent à accomplir. Pour autant, c’est à la problématique ciblée et à la dynamique des parties prenantes auxquelles le duo sera amené à réfléchir dans un premier temps. Thomas Baracos, coach du projet À nous la Malting!, précise :
« David et Eunbyul ont intégré la cohorte en cherchant de nouveaux moyens de convaincre des partenaires potentiels tout en remobilisant l’ensemble du collectif. Pendant les ateliers du parcours et en séances de coaching, nous avons travaillé à réunir les conditions gagnantes à la réussite de ce projet en imaginant des alternatives à la confrontation directe, par exemple le fait d’envisager le projet du collectif comme un laboratoire afin d’ouvrir le champ des possibles. »
Expérimenter des idées pour aller chercher des résultats bénéfiques, voilà la nouvelle dynamique insufflée au projet. En s’appuyant sur le design thinking, une méthodologie phare de l’Incubateur civique axée sur des boucles d’apprentissages et de multiples itérations, le binôme est invité à déconstruire l’imposante montagne et à concevoir des petites initiatives concrètes.
Tout en gardant sa vision initiale, le collectif gagne ainsi en crédibilité, en notoriété et s’offre l’occasion d’inclure des parties prenantes qui pourraient devenir des partenaires à long terme. La bibliothèque Saint-Henri en est un exemple. En décembre 2022, le collectif y a organisé une exposition sur l’héritage historique du quartier. Une formidable opportunité d’aller à la rencontre du public, de le sensibiliser aux enjeux soulevés par le collectif et de recruter de nouveaux membres.
« Eunbyul, Shannon et moi-même avons eu l’occasion de cheminer pendant le parcours de l’Incubateur civique. Transmettre ensuite les apprentissages au reste de l’équipe a été toute une autre job, car cette nouvelle approche est un gros changement, surtout pour les personnes militant depuis le tout début! Par chance, la plupart des outils qu’on nous a partagés sont conçus pour mettre l’intelligence collective au bénéfice du projet. L’appropriation de ces outils collaboratifs a porté fruit puisque la mobilisation du collectif a été relancée et on a su concrétiser cette première expérimentation autour de l’histoire de la Malting. » – David Grant-Poitras, membre du collectif À nous la Malting! et lauréat de la cohorte 2022 de l’Incubateur civique
Porté par le succès de l’exposition, le collectif maintient son élan retrouvé et prévoit d’autres initiatives tournées vers la communauté comme des sessions de jardinage à l’été 2023, sur le site de la Malting afin de revendiquer la mise en réserve du terrain.
Suivez les réseaux sociaux d’À nous la Malting! où seront annoncés les détails des prochains événements. Si vous souhaitez contribuer au projet, le collectif est toujours à la recherche de nouveaux membres, de soutien, de conseils de la part d’organismes ayant géré des transformations similaires. N’hésitez pas à le contacter !
¹ et ² Balado Esprit de quartier : Une ville (vraiment) abordable, produit par la Coalition montréalaise des Tables de quartier
³ Dossier de projet À nous la Malting!