Une conversation à -20°C autour de serres urbaines et de l’expérimentation réglementaire

Crédit photo : Maison de l’innovation sociale (MIS)

On n’observe aucun système d’approvisionnement énergétique autour des serres, car elles sont «passives», c’est-à-dire qu’elles n’ont besoin d’aucun chauffage artificiel et fonctionnent avec la seule lumière du soleil. Alors que le thermomètre indique -20 degrés Celsius à l’extérieur, il fait un doux 5.5 degrés à l’intérieur des serres.

L’apparente simplicité de ce projet cache pourtant une démarche d’expérimentation qui implique plusieurs parties prenantes. Porté par le Carrefour solidaire Centre communautaire d’alimentation en partenariat avec AU/LAB, ce projet est aussi au centre des activités du Laboratoire d’innovation civique pour l’expérimentation réglementaire (LICER), qui étudie les facteurs réglementaires qui bloquent ou facilitent le déploiement d’initiatives innovantes, telles que ce projet de serres hivernales dans l’espace public. AU/LAB et le LICER collaborent afin de tester l’intégration de ces nouvelles pratiques dans le but d’informer le processus réglementaire en soutien à leur pérennisation et à leur mise à l’échelle.

Crédit photo : Maxime Lapostolle

Quand les défis sont aussi des opportunités

La conseillère scientifique en économie circulaire pour AU/LAB, Héloïse Koltuk, et la gestionnaire de projet en innovation sociale à la Maison de l’innovation sociale (MIS), Pénélope Seguin, se sont donc rencontrées sur la rue Dufresne en ce matin glacial. Autour des serres, elles discutent des implications d’un tel projet dans l’espace public pour informer à la fois la mise en oeuvre d’initiatives innovantes semblables et leur mise à l’échelle, ainsi que le cadre réglementaire qui les accueille. Elles perçoivent toutes deux des occasions d’apprentissages collectifs dans ces défis et opportunités. Qu’est-ce qui fonctionne, et qu’est-ce qui ne fonctionne pas?

Pénélope: « C’est un projet particulièrement novateur que d’investir l’espace public pour faire de l’agriculture urbaine, surtout en hiver! Du point de vue de l’équipe du LICER, ce type d’initiative inédite axée sur la transition socio-écologique se prête bien à l’expérimentation, précisément parce que le cadre réglementaire actuel n’est pas adapté pour autoriser, voire favoriser son déploiement. Pourrais-tu me parler de certains facteurs qui, selon toi, rendent l’implantation de ce genre de projet plus complexe ou difficile? »

Héloïse: « Oui, on a effectivement eu quelques défis à relever lors de l’implantation de ce projet! Mais je commencerais tout de même en soulignant un facteur facilitant : notre collaboration avec le Carrefour solidaire Centre communautaire d’alimentation. Cet organisme communautaire, dont la mission vise l’accessibilité alimentaire, a un bon ancrage local et connaît bien le territoire. L’organisme voulait non seulement pérenniser la Promenade des saveurs (la plus grande rue piétonnisée et aménagée de plantes comestibles libres à la récolte citoyenne au Canada!), mais voulait aussi prolonger à la saison froide cette initiative estivale très prisée par la population locale. Du côté de AU/LAB, on cherchait un moyen de réactiver le projet d’implantation de serre urbaine à partir d’abris d’auto. Nos intérêts ont convergé et on a abouti à une belle collaboration!

Par contre, les conditions gagnantes pour aller de l’avant avec le projet n’étaient pas toutes en place, notamment sur le plan des autorisations requises. Comme ce partenariat se présentait et que la saison des cultures n’attend pas, le défi a été d’anticiper la construction des serres en allant chercher au fur et à mesure l’appui des autorités concernées. »

Héloïse (à gauche) et Pénélope (à droite) – Crédit photo : Maxime Lapostolle

Cet échange nous permet de constater qu’il y a donc des intérêts qui divergent concernant l’usage de l’espace public qui, rappelons-le, est régi par une multitude de réglementations, notamment sur le plan de la saisonnalité et des types de structure et d’usage. En revanche, il y a aussi des intérêts qui convergent dans la mise en œuvre de ce genre de projet d’occupation alternative de la voie publique sur lesquels il faut miser.

Pénélope: « La Promenade des saveurs avait donc déjà une vocation liée à l’agriculture. La nouveauté, c’est de prolonger cet usage pendant l’hiver. Pour procéder, vous avez forcément dû prendre en compte les enjeux propres à plusieurs services, n’est-ce pas? »

Héloïse: « Oui, tout à fait. Un des gros enjeux concerne l’aménagement de la rue. L’installation des serres devait bien sûr être prise en compte, mais aussi les contraintes liées au déneigement, à l’accessibilité des pompiers, et à la sécurité liée à l’usage de la rue. Le défi était d’arrimer les intérêts et contraintes propres à chaque service, qui ont à cœur la protection de la collectivité, et n’ont pas forcément l’habitude de collaborer autour de projets innovants qui sortent des sentiers battus. Naturellement, ils analysent la situation selon leurs propres points de vue. Il a fallu collaborer avec chaque service pour solliciter leur adhésion à notre projet et aux retombées positives sur le quartier. Par exemple, il aurait été dommage d’abandonner le projet en raison des contraintes liées au déneigement alors que l’équipe des travaux publics qui s’en charge possède les ressources et l’ingéniosité requises pour trouver une solution. »

Crédit photo : Maxime Lapostolle

Ce sont donc les acteurs publics qui sont les premiers impactés par ce genre d’initiatives. Il est important de les impliquer pour tenir compte de leurs considérations et de leur expertise dans la mise en œuvre du projet.

Héloïse: « La collaboration des pouvoirs publics sur ce projet a été déterminante. Une élue locale a choisi de soutenir le projet tout en prenant soin d’adresser les réticences de certains riverains et riveraines qui s’inquiétaient notamment pour leurs places de stationnement. Ce soutien politique a aussi incité les différents services de la Ville à trouver des solutions pour collaborer autour de notre projet, qui se tient aussi dans le cadre de Montréal en commun, une communauté d’innovation portée par le Laboratoire d’innovation urbaine de Montréal. À l’échelle plus locale, l’arrondissement Ville-Marie est également d’un grand soutien à la fois physique et financier, en mettant à notre disposition des professionnels de différents services et leurs équipes sur le terrain pour nous aider avec l’accès à l’eau et à l’électricité, pour enlever les graffitis sur les serres et pour déneiger. Ce sont des choses qu’on fait en collaboration avec les cols bleus. »

L’expérimentation permet aussi de tester le prototype de serres sur le plan des matériaux et du contexte d’implantation, c’est-à-dire dans la rue ou dans un espace public urbain.

Héloïse: « Construire des serres à partir d’abris d’auto, tout en s’assurant de répondre aux exigences d’expérimentation d’une culture hivernale, représentait aussi un défi. Il existe de nombreux retours d’expériences sur la conversion d’abris d’auto en serres. En revanche, aucun ne correspondait à nos préoccupations en matière d’isolation thermique ni sur le plan de la résistance aux intempéries et au vandalisme. Face à tout ça, on a dû créer nos propres prototypes de serre et les tester en conditions réelles!

On a aussi eu la chance d’être accompagnés par Sid Lee, une agence de communication créative de renommée, pour tout ce qui concerne le design circulaire de notre projet. Une signalétique à la fois ludique, informative et recherchée sur le plan esthétique a été créée à partir de panneaux réutilisés, avec l’intention d’utiliser le minimum de ressources pour promouvoir l’économie circulaire à travers cette identité graphique.

Enfin, le dernier élément, mais non le moindre, c’est l’enthousiasme que le projet génère dans la communauté. Je crois que c’est inspirant pour tout le monde de voir se déployer ce type de projet. Ça génère beaucoup de sympathie, autant de la part des riverains et riveraines que de la presse. Puisque le projet n’est qu’en phase de démarrage, le meilleur reste à venir! »

Pénélope: « Tout à fait! Ce que tu dis évoque la capacité de l’agriculture urbaine à créer des espaces de vie, de rencontres et d’échanges qui permettent une transformation de la société.

Et puis, ce projet de serres, s’il est pérennisé, pourrait s’adapter au fil des saisons. C’est particulièrement intéressant dans le contexte montréalais où l’on passe six mois par année en hiver! »

Crédit photo : Maxime Lapostolle

En plus de révéler tout le potentiel de transformation de l’espace public au bénéfice des milieux de vie, ce projet révèle des opportunités de collaboration avec les acteurs publics comme partie intégrante du processus d’innovation sociale.

Avez-vous envie de vous impliquer pour la transition socio-écologique?

Une série d’activités du LICER impliquera directement les résidentes et résidents. Par exemple, dans le cadre d’ateliers de codesign, des groupes de citoyennes et de citoyens pourraient travailler sur les considérations d’aménagement ou sur les cadres de gouvernance permettant de démocratiser des pratiques agricoles en serres en milieu urbain. Pour participer et contribuer à l’avancement de l’expérimentation réglementaire du LICER, manifestez votre intérêt en cliquant ici.

Le LICER est piloté par la MIS, avec la collaboration de Cité-ID/ENAP et Dark Matter Labs comme partenaires de recherche. L’équipe du LICER travaille aussi avec les partenaires de Montréal en commun (une communauté d’innovation portée par la Ville de Montréal), dont le Laboratoire sur l’agriculture urbaine (AU/LAB) et, par prolongement en raison de sa collaboration privilégiée avec AU/LAB, le Carrefour solidaire Centre communautaire d’alimentation.

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