De joueur de poker à cryptomonnayeur communautaire
Le parcours inédit d’un innovateur social
Jamie Klinger est un touche-à-tout, un Jack-of-all-trades. Le benjamin d’une famille de trois enfants, il aime croire que ses parents ont déversé toutes leurs ambitions sur ses aînés, lui accordant dès lors les conditions idéales pour errer librement à travers son enfance, sans les contraintes associées aux exigences parentales démesurées. Le revers de ces conditions (qu’il a fini par considérer comme un levier, soit dit en passant !), c’est d’avoir navigué d’un intérêt à un autre sans avoir pu s’accrocher, comme d’autres enfants, à la notion d’une grande destinée, d’un tracé héroïque de sa personne pour le propulser dans l’avenir (devenir astronaute, être le prochain Messi ou un autre Einstein par exemple). Alors qu’il avait des doutes sur son incapacité à se démarquer de ses collègues de classe avec ses ambitions dites « beiges » et qu’il espérait secrètement qu’on lui dise quoi faire, c’est tout simplement en changeant le monde qu’il a fini par comprendre sa raison d’être et trouver sa voie.
Après avoir collectionné les expériences dont celle d’avoir été champion de poker, animateur d’une radio étudiante, journaliste, créateur de webzine avant leur apogée, photographe, membre d’un club de débat ; après avoir voyagé, et acquis les apprentissages et les formations au gré de ses rencontres, dont un baccalauréat en marketing avec une mineure en philosophie ; après avoir lancé sa compagnie « Honestly marketing » ; après avoir accumulé les expériences sociales tout aussi révélatrices l’une de l’autre, Jamie a eu un déclic lors de sa participation à « Occupons Montréal », un mouvement de contestation pacifique à l’inégalité économique et sociale. Paradoxalement, c’est là qu’il a compris que l’argent n’est pas la source de tous les maux. Et c’est là, aussi, que son projet d’innovation sociale, Jack-of-all-trades-Universe (JoatU), est né.
L’argent, source de tous les maux ? Pas avec la cryptomonnaie communautaire
Son immense ouverture d’esprit aux autres comme aux nouvelles idées, la polyvalence de ses champs d’intérêt, son esprit d’entrepreneuriat, et la nécessité de s’organiser comme membre d’une communauté solidaire et démocratique au sein du mouvement Occupons Montréal, l’ont mené à considérer les compétences cachées et pourtant essentielles à la survie de tout un chacun pour affronter collectivement les défis du vivre-ensemble. Il s’est dès lors questionné sur la gestion et la distribution de la monnaie. Se pouvait-il que l’on puisse redéfinir l’argent, ou générer une cryptomonnaie et une plateforme d’échange en ligne pour reconnaître et accroître la participation citoyenne ? Se pouvait-il qu’une autre solution, émanant de la communauté, puisse combler les failles sociales d’un système imparfait ?
La production d’une monnaie virtuelle, décentralisée, acquise en fonction de la portée d’une action communautaire, et échangée contre d’autres services offerts par des citoyens est à la base du concept de JoatU, un projet sélectionné parmi 85 candidatures dans la première cohorte de l’Incubateur civique de la MIS à l’automne 2018.
Prenons par exemple un jeune porté par l’envie d’aider bénévolement de jeunes réfugiés avec leurs devoirs et l’apprentissage du français, ou cette retraitée souhaitant réaliser un petit jardin communautaire pour en faire profiter les personnes âgées de son quartier. Pourrait-on attribuer une unité de valeur virtuelle à leurs actions bénévoles respectives en fonction de paramètres précis ? Et si ce jeune voulait ensuite échanger ses unités de valeur cumulées pour s’offrir une séance d’entraînement avec un coach sportif inscrit sur cette même plateforme, ou que cette retraitée voulait échanger les siennes pour un cours de langue, serait-il envisageable de leur donner cette capacité de combler leurs besoins autrement qu’avec de l’argent acquis avec un petit boulot ou en puisant dans son régime de retraite ? Se pourrait-il que la plateforme de JoatU puisse répondre aux besoins de la communauté autrement, tout en promouvant l’engagement civique, la participation citoyenne et la réappropriation des espaces publics par les citoyens ?
Voilà autant de principes que Jamie Klinger est à approfondir au sein de l’Incubateur civique. Creuser la problématique à laquelle il souhaite s’attaquer, relever les angles morts de sa démarche, anticiper les comportements des usagers et des parties prenantes de son projet, identifier les indicateurs qui lui permettront de mesurer la portée de l’impact social et environnemental de son projet, planifier sa stratégie de déploiement… Il entame tout ça et plus encore pour aboutir, à terme, à un prototype suffisamment mûr pour passer aux étapes du financement et du déploiement.
Alors qu’il n’avait pas encore atteint la mi-parcours de son séjour au sein de l’Incubateur Civique, nous lui avons demandé ce qu’il appréciait le plus du programme.
« La richesse des parcours et de l’expertise des autres participants est très enrichissante et stimulante. C’est vraiment inspirant et motivant de pouvoir échanger et confronter nos idées à celles de citoyens aussi mobilisés que soi par des projets à portée sociale et environnementale. Leur contribution à ma propre réflexion est indéniable » a-t-il précisé. Qu’a-t-il préféré ? « Je n’ai pas encore terminé mon parcours, mais à ce jour, j’avoue que les séances de coaching individuel sont transformatrices. C’est une formule qui me convient particulièrement bien et m’aide à avancer ! C’est une chance aussi pour moi de profiter de ces apprentissages gratuitement »
Si le portrait et le cheminement de chaque innovateur diffèrent grandement, il est inspirant d’échanger avec chacun d’entre eux. En parlant avec Jamie, il est difficile de ne pas laisser libre cours à l’innovateur social latent en nous !