Entretien avec deux coachs de l’Incubateur civique de la MIS

À cette occasion, deux de ses coachs Hugo Steben — directeur du renforcement des capacités et incubation — et Sarah Abarro — coordinatrice des programmes d’incubation — nous livrent leurs perspectives sur l’expérience vécue par les leadeures et leadeurs de projets au sein de la cohorte et sur l’évolution qu’a connu le parcours afin d’outiller au mieux celles et ceux qui ont à cœur de transformer positivement le monde.

Le parcours de l’Incubateur civique semble correspondre à un besoin puisque les cohortes se succèdent depuis 2018. Est-ce que votre expérience le confirme ?

Hugo : L’Incubateur civique répond à un besoin d’accompagnement pour des idées naissantes et des initiatives en phase d’amorçage qui ont un potentiel d’impact positif et transformationnel sur le plan social et environnemental. Il y a en effet peu d’offres au Québec pour des projets à ce stade et avec cette visée. Surtout, il y a peu d’options d’accompagnement pour les personnes qui souhaitent développer un projet à impact sans forcément être animées par une intention purement « business ». Nous accueillons aussi des personnes aux parcours atypiques, avec des formations et des expériences professionnelles et de vie très diverses. C’est aussi ça la particularité de la MIS ! Cette richesse de perspectives et de savoirs est un des piliers du programme pour renforcer le potentiel d’impact des projets que nous accompagnons, mais aussi pour renforcer la capacité des membres de la cohorte en tant qu’actrices et acteurs de changement.

Depuis la première cohorte de l’Incubateur civique, ce sont presque quarante projets qui ont été accompagnés, imaginés par des personnes engagées qui se heurtent à des obstacles. Ce peut être un pressentiment qu’il leur manque des pièces du puzzle quant à leur compréhension de la problématique en jeu et de leur solution; un manque de direction pour savoir comment déployer un projet de nature atypique doté d’une stratégie de déploiement tout aussi atypique; un manque d’accès à des réseaux; ou, tout simplement, l’inlassable syndrôme de l’imposteur qui mine leur confiance! Avec le parcours d’Incubateur civique, ce sont précisément ces barrières que nous cherchons à faire tomber.

Crédit: Youssef Shoufan

Parlons de ces parcours atypiques : parmi les profils qui se côtoient dans les cohortes, certains connaissent l’innovation sociale, d’autres la découvrent. Comment faites-vous cohabiter cette diversité ?

Sarah : La MIS est consciente de cette diversité et elle travaille précisément à en faire un atout dans la construction de ses cohortes, tant dans les projets que pour les individus. Afin de maximiser ce qui fait véritablement la richesse d’une approche par cohorte, nous adaptons les activités, les contenus et les outils à chacun et chacune, peu importe le niveau de familiarité avec l’approche de l’innovation sociale. Par ailleurs, l’expérience-participant est conçue de manière à favoriser les échanges et la création de liens entre les membres, en mettant en valeur leurs forces, leurs expériences, leurs savoirs. La génération et le déploiement d’innovations sociales requièrent justement la rencontre de plusieurs types de savoirs. Il arrive, par exemple, que dans le cadre d’un atelier, des participantes et des participants amènent à la fois un regard théorique, un regard professionnel, un regard militant et un regard tiré d’une expérience vécue dans une discussion, ce qui génère des réflexions extrêmement riches autour d’un sujet!

Hugo : L’accompagnement qui est offert en ateliers de groupe permet aussi aux participantes et aux participants de dévoiler leurs angles morts et d’enrichir leurs perspectives avec de nouveaux savoirs puisés dans le bagage professionnel et expérientiel de leurs collègues. À titre d’exemple, je me rappelle d’un échange autour d’un projet ciblant les jeunes issus du système de protection de la jeunesse, lors duquel une participante a partagé son vécu en tant qu’individu qui avait été une famille d’accueil pour des jeunes dans le système de protection.

En complément, les phases de coaching individuelles donnent l’opportunité d’offrir des conseils plus personnalisés. À travers la relation de confiance développée avec les coachs, les porteuses et porteurs de projets sont souvent beaucoup plus enclins à s’ouvrir sur leurs vulnérabilités et leurs doutes, ce qui permet d’aborder des sujets qui sont véritablement transformateurs pour toute la cohorte.

Le parcours de l’Incubateur civique s’étend sur cinq mois et s’articule autour de quatre modules: consolider, comprendre, concevoir, déployer. Comment évolue un projet à travers cette séquence ?

Sarah : Dans la première section du parcours, on met à plat la vision des porteuses et porteurs de projets sur leurs problématiques, leurs parties prenantes ainsi que sur les solutions envisagées. On creuse et on gratte pour aller au fond de la réflexion, puis on analyse et on distingue ce qui est appuyé sur des bases solides (sur des données par exemple), et ce qui est du domaine de l’intuition et qui gagnerait à être validé. On les aide alors à concevoir et à planifier une démarche de validation, puis on les connecte avec des membres de nos réseaux afin de leur permettre d’aller à leur rencontre et de valider leurs hypothèses.

Au retour de cette phase de validation, on ajuste notre compréhension de la problématique et la vision de la solution en fonction des informations recueillies. C’est alors la phase de conception qui s’amorce, où les usagers à cibler sont identifiés avec plus de précision et un prototype adapté à leurs besoins et leurs contraintes est conçu. Ce prototype doit non seulement livrer l’impact ciblé, mais il doit être à la fois utile pour les usagers, accessible, utilisable, désirable et même agréable!

On définit ensuite les principales étapes du déploiement, dont l’identification des parties prenantes-clés, la stratégie pour les mobiliser autour du projet, la forme juridique la plus appropriée au projet (si nécessaire) et une stratégie de financement pour le déploiement de la prochaine phase du projet. Tout se termine par un pitch du projet devant des actrices et des acteurs triés sur le volet, qui peuvent fournir de la rétroaction, aiguiller vers des partenaires potentiels, voire même lever la main pour devenir partenaire du projet.

Hugo : Le parcours proposé fonctionne particulièrement bien pour accompagner et déployer les projets ambitieux que nous rencontrons dans les cohortes. Contrairement à l’accompagnement d’une entreprise qui vend un produit ou un service à une clientèle définie, selon un processus relativement linéaire et somme toute assez simple, certains projets incubés dans le cadre de l’Incubateur civique renferment plusieurs composantes à déployer en parallèle ou de façon séquentielle. Il est parfois nécessaire d’adresser en premier lieu un obstacle au déploiement de leur projet ou de créer les conditions de succès essentielles à son déploiement. Je pense notamment à la modification d’une réglementation, à la mobilisation citoyenne ou encore à la génération de connaissances plus approfondies sur un nouveau sujet. Cela demande d’établir une bonne vision globale de l’impact souhaité, de savoir bien prioriser et ordonnancer les morceaux à développer, et à faire preuve d’agilité en cours de déploiement pour s’adapter en continu.

Lorsque les enjeux sont adressés et que les angles morts sont révélés, la forme initiale du projet peut ne plus correspondre à l’impact recherché. Comment maintenir la motivation des personnes participantes et les soutenir à imaginer une nouvelle solution ?

Hugo : D’abord, en tant que coachs, nous amenons les membres de la cohorte à concentrer leur attention non pas sur le projet, mais surtout, sur l’impact escompté pour adresser la problématique sociale et environnementale en jeu. Tomber en amour avec l’impact de son projet plutôt qu’avec le projet même est un des leitmotivs du parcours! Par ailleurs, l’information n’est pas reçue de manière passive, au contraire elle sert à la recherche de pistes d’amélioration au projet en la mariant au propre vécu de l’individu. Notre travail n’est pas de leur dire quoi faire, mais plutôt de les accompagner dans leurs réflexions, de leur suggérer des scénarios, de leur proposer des options et de challenger leurs angles morts. Ultimement, c’est celui ou celle qui porte le projet qui reste maître d’œuvre de son initiative et de ses décisions. La pire chose qu’on pourrait faire en tant que coach est de les amener à concevoir un projet dans lequel les membres de la cohorte ne se reconnaissent plus!

S’il y avait un élément du parcours à mettre en valeur pour inciter de potentiels leadeures et leadeurs de projets à impact à faire partie d’une prochaine cohorte, quel serait-il ?

Sarah Abarro coach incubateur civique

Sarah : Dans leur retour d’expérience, les lauréats et lauréates évoquent fréquemment à quel point ce programme s’est révélé enrichissant et transformateur. Les apprentissages de l’Incubateur civique les accompagnent même dans d’autres sphères de leur vie, dans leur travail, leur vie personnelle et leurs autres projets au cœur desquels se placent dorénavant l’impact et l’innovation sociale.

Hugo : La solidité des projets et la capacité des leadeures et leaders qui ont transité au sein de l’Incubateur civique ne passent pas inaperçues. L’Incubateur civique les prépare bien à rallier des parties prenantes autour de leurs projets, comme en témoignent les divers partenaires qui rencontrent nos lauréates et lauréats au terme du parcours et dans le cadre d’activités de maillage que nous organisons. Le parcours joue aussi son rôle comme vecteur de renforcement de l’écosystème de l’innovation sociale au Québec en élargissant le bassin d’actrices et d’acteurs de changement mobilisés autour de l’impact social et environnemental et déterminés à mener à bien leurs projets!

Hugo Steben coach Incubateur civique

En 2020-2021, avec la COVID-19, le parcours de l’Incubateur civique a basculé en format virtuel à 100%. Avez-vous eu des surprises ou fait des découvertes par rapport à ce nouveau mode de travail ?

Hugo : Même si les premières cohortes de l’Incubateur civique se sont déroulées principalement en présentiel, le transfert de certaines activités en ligne avait déjà été amorcé avant même la pandémie. Nous cherchions à virtualiser harmonieusement le programme pour garder une expérience humaine dans le parcours, tout en profitant de la souplesse qu’offre le numérique. Quand il a fallu faire la bascule vers un format complètement virtuel, nous avions donc une petite longueur d’avance. Par ailleurs, l’agilité de notre équipe nous a permis d’apporter des modifications à des outils, des contenus, des stratégies d’animation ou des éléments logistiques en continu, parfois du jour au lendemain, pour nous adapter.

Sarah : Le pari était de favoriser l’inclusion. Pour cela, nous avons cherché à mieux comprendre les diverses contraintes liées aux autres sphères de vie des actrices et des acteurs de changement qui sont en phase d’amorçage d’un projet, dont celles du travail, de la famille et du contexte sanitaire. Nous avons alors conçu un parcours qui s’intègre de la manière la plus harmonieuse possible avec celles-ci en misant notamment sur une plus grande fréquence de rencontres de plus courte durée et en établissant un juste équilibre entre les rencontres fixes et le travail libre. Ce gain en autonomie, à la fois dans leur engagement et dans le parcours, leur a permis de concilier leur participation à l’Incubateur civique avec les contraintes liées aux mesures sanitaires. Et cela a porté ses fruits ! Nous avons pu observer un fort niveau d’engagement des porteurs et porteuses de projets dans la formule en ligne, même sur une longue période.

Hugo : Maintenant que la pandémie a ouvert de nouvelles opportunités dans nos manières de travailler, nous sommes d’autant plus en confiance sur le mode hybride que nous avons adopté pour la prochaine cohorte. En misant sur les avantages du virtuel et du présentiel, la nouvelle formule de l’Incubateur civique offre une expérience plus souple, optimisée en lieu et en temps. On espère ainsi convaincre tous les gens qui mijotent un projet à impact dans leurs têtes, même celles et ceux qui vivent hors des quartiers centraux et qui ont un agenda chargé ou des enjeux de mobilité, de passer de l’idée à l’impact en concrétisant leur projet!

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