Fondation Matrimoine : valoriser un héritage culturel délaissé
Aux côtés des noms de métiers et de fonctions au féminin, il participe à reconstituer la mémoire des créatrices du passé et à assurer la transmission de leurs œuvres. Autrices, sculptrices, illustratrices, conteuses, les femmes artistes n’étaient des exceptions ni en talent, ni en nombre. En valorisant la part manquante de notre héritage culturel centré sur le patrimoine, le matrimoine permet de redonner aux femmes la place qui leur revient, non seulement dans l’histoire, mais aussi dans la vie publique et professionnelle aujourd’hui.
C’est à ce mouvement que participe Luce Vallières avec Fondation Matrimoine, un projet sélectionné dans la cohorte 2022 de l’Incubateur civique de la Maison de l’innovation sociale (MIS), en contribuant à la reconnaissance pérenne de l’héritage des créatrices et à l’amélioration de leurs conditions de travail actuelles.
Invisibles dans l’espace public
Avez-vous déjà prêté attention aux noms des rues, des édifices, des stations de métro ou des lacs ? Pensez-y un instant. Maintenant, parmi ceux qui vous viennent en tête, comptez combien désignent des femmes. Il y en a peu, n’est-ce pas ?
Extrait d’un plan de la Société de transport de Montréal (STM)
Votre mémoire n’est pas en cause ici. Cet exercice révèle seulement le manque de parité dans la toponymie, soit l’ensemble des noms propres désignant des lieux. Au Québec, sur plus de 50 000 toponymes à la mémoire d’une personne décédée, seulement 10 % rendent hommage à une femme. À Montréal, ce ratio tombe même à 7,6%.¹ Cette faible représentation des femmes dans l’espace public est précisément en corrélation avec la place qui leur est accordée dans les livres d’histoire.
En effet, comme les toponymes sont des marqueurs tangibles et symboliques de la société, les noms sont principalement choisis dans la sphère publique. Une sphère de laquelle les femmes ont été effacées, voyant leur contribution minimisée et leurs travaux attribués à leurs collègues masculins. Cette pratique a accentué l’absence des créatrices dans les ouvrages consacrés à l’histoire. Si toutes les disciplines sont concernées, le domaine des arts doit de surcroît composer avec la destruction d’œuvres ou le manque d’accessibilité aux archives par manque de considération pour cet héritage.
Expérimenter les obstacles
Avec son parcours universitaire en Histoire de l’art, sa pratique artistique en photographie et son emploi dans le domaine de la culture, Luce Vallières vit et identifie précisément les obstacles auxquels font face les professionnelles des arts :
« On pourrait croire qu’en 2022, alors qu’on progresse, entre autres, sur l’égalité salariale, les femmes se voient offrir les mêmes opportunités, les mêmes moyens et disposent d’une aussi grande liberté artistique que les hommes. Malheureusement, ce n’est pas le cas !
Parmi les nombreuses raisons, j’ai noté que le manque de modèles féminins freine les créatrices à prendre leurs places comme professionnelles de l’art, à poser leur candidature, à demander des financements. Leur pratique est parfois encore perçue comme une activité de loisirs. » — Luce
Un moyen de faire bouger les choses est de reconstituer cet héritage délaissé et de le mettre de l’avant dans l’espace public. Luce imagine pour cela le projet Fondation Matrimoine, avec l’intention de redonner aux femmes la place qui leur revient dans l’histoire de l’art et d’ancrer de nouvelles pratiques pour l’avenir.
Son initiative prend forme autour d’une première activité de rédaction de pages Wikipédia, avec l’objectif de bonifier la qualité et la quantité de contenus numériques au sujet des créatrices. L’enthousiasme des bénévoles qui participent à cette session encourage Luce à lancer le balado Matrimoine OUI ! dont les épisodes explorent la vie et l’œuvre d’une femme artiste et/ou artisane pour faire resurgir ses créations et créer un pont entre les pratiques artistiques passées et contemporaines.
« Mettre en lumière le matrimoine est un travail de longue haleine qui nécessite beaucoup de recherches, mais c’est une étape indispensable pour casser ce cercle vicieux d’invisibilisation qui continue à peser, de nos jours, sur la représentativité des artistes féminines dans les musées et dans l’espace public. » — Luce
Cependant, la porteuse de projet cerne rapidement les limites de son plan d’action, car en plus d’impliquer un minutieux travail de fouilles, la masse de contenu à créer semble colossale. Comment ne pas se décourager face à l’ampleur de la tâche ? Dans quelle direction amener le projet pour gagner en impact ? Ces questions vont trouver réponse dans le parcours d’accompagnement de l’Incubateur civique, dont elle intègre la cohorte 2022.
Le matrimoine est un sujet très large et il y a bien des manières de le sortir des boîtes d’archives pour l’amener sur le devant de la scène. Reste à déterminer la stratégie qui supporte la vision de Fondation Matrimoine, tout en générant l’impact recherché. Luce souligne que le programme l’a aidée à adapter son approche :
« L’équipe de la MIS a, par exemple, porté mon attention sur le fait de bien choisir les partenaires à mobiliser. Ce n’est pas le même effort de convaincre quelqu’un évoluant très loin du sujet qu’une personne déjà ralliée à la cause. À quoi ai-je réellement envie de consacrer mon énergie ? J’ai appris, grâce à l’Incubateur civique, à prendre du recul pour me laisser l’espace à imaginer d’autres solutions. » — Luce
Mobiliser du soutien
Grâce aux déclics provoqués et aux rencontres réalisées tout au long du parcours, Fondation Matrimoine commence par affiner sa mission. Elle mise dès lors sur la « transformation de la conversation dans l’espace public afin d’y inclure le matrimoine pour une société juste, inclusive et résiliente. »
Dans une stratégie de recherche d’impacts structurants, le thème des arts visuels est choisi comme ligne directrice dans la programmation de la Fondation pour les quatre prochaines années. Le fait de commencer par un domaine précis va permettre au projet de tester des actions ciblées à l’intérieur d’un cycle, avant de se déployer sur des domaines d’expression différents lorsque les conditions de succès seront présentes pour augmenter l’envergure des activités.
La remise en question de l’approche initiale fait également émerger une nouvelle perspective, dirigée vers des actions à effet levier: « Pourquoi gâcher mon énergie à vouloir convaincre des personnes qui disposent d’une audience, mais qui ne croient pas à la cause du matrimoine ? Et si je me concentrais plutôt sur les gens déjà sensibilisés ? Trouver des personnes alliées dans le milieu culturel qui ont un pouvoir de décision et d’influence sur le système, les accompagner si elles manquent de ressources et leur proposer des outils pour les inciter à passer à l’action va provoquer un impact plus pérenne. » — Luce
Cette impulsion débouche sur une collaboration avec le département d’Histoire de l’art de l’Université de Montréal pour concevoir différentes composantes destinées à améliorer les conditions de travail des créatrices d’aujourd’hui, comme des formations ou des services d’accompagnement dans la transmission de leurs legs aux institutions.
Tout en continuant la production et la diffusion de contenus, par le balado notamment, Luce et son équipe, formant l’OBNL Fondation Matrimoine, préparent une série d’événements à venir en octobre 2022 pour le mois de l’histoire des femmes au Canada. Différentes activités sont prévues pour faire connaître la cause du matrimoine, attirer l’attention sur cet héritage culturel délaissé et sensibiliser le public au manque de représentativité des femmes artistes dans l’espace public.
Suivez Fondation Matrimoine pour connaître la programmation !
¹ Beaudoin, S. & Martin, G. (2019). Femmes et toponymie: De l’occultation à la parité. Sherbrooke, Québec : Fleurdelisé.