L’Incubateur civique, et après ? Trois alumni reviennent sur leur parcours
Ce programme, reconnu dans l’écosystème montréalais en soutien aux projets en phase d’amorçage, a en effet contribué à l’émergence de multiples initiatives portées par des individus, des collectifs ou des OBNL dans les dernières années.
Notre directeur du renforcement des capacités et incubation, Hugo Steben, s’est entretenu avec trois alumni du parcours d’accompagnement. Ensemble, ils reviennent sur leur cheminement et l’avancement de leur projet, les apprentissages qui les accompagnent encore aujourd’hui dans différentes sphères de leur vie et imaginent ce que seraient devenues leur vision sans l’Incubateur civique.
D’une expérience vécue à l’envie d'agir
Si nos alumni ont en commun d’avoir bénéficié de l’accompagnement de l’Incubateur civique, leur sensibilité aux enjeux socio-environnementaux s’est révélée à travers des parcours divers.
Pour Alexandre Landry, c’est lors d’un échange étudiant aux États-Unis dans le cadre de ses études en architecture, qu’il découvre l’impact social que peut générer son futur domaine d’activité sur les communautés défavorisées. Cette expérience l’a fortement influencé dans l’idéation de L’Ensemble (cohorte 2021) en voulant explorer des scénarios de densification urbaine solidaire.
Du côté de Yoann Dhion, déjà sensibilisé aux questions écologiques, il cherche à amplifier son impact au-delà de ses habitudes quotidiennes vertueuses le jour où son entourage se retrouve confronté à la nocivité de la pollution environnementale. En découvrant le concept des mini-forêts japonaises, il crée HYF Forêts Urbaines (cohorte 2021) pour implanter le développement de micro forêts à essence indigène et à croissance rapide sur le territoire montréalais.
Quant à Céline-Audrey Beauregard, impliquée dans de nombreux projets et très active dans son quartier de résidence à Verdun, elle participe au mouvement citoyen Demain Verdun, incubé par Emmanuelle Falaise dans la cohorte 2018. Puis, dans cet arrondissement en plein changement où le tissu social tend à se déliter, elle imagine à son tour un projet avec le réaménagement du dernier étage du stationnement Éthel (cohorte 2019) dans le but de le transformer en un espace inclusif et accessible à l’ensemble de la population.
Dans l’Incubateur civique, peu importe le niveau de familiarité avec l’approche de l’innovation sociale, tous les parcours sont valorisés. Qu’ils soient professionnels, théoriques, militants ou encore expérientiels, les savoirs des membres enrichissent les cohortes et renforcent la capacité d’action de ces actrices et ces acteurs de changement.
Se détacher de la solution pour prioriser l'impact
Durant le parcours de l’Incubateur civique, le rôle des coachs est d’aider les porteuses et les porteurs de projet à établir une vision globale de l’impact souhaité, en challengeant notamment la solution imaginée par la révélation des angles morts. Parfois, certaines réflexions orientent les initiatives dans une tout autre direction pour mieux répondre à la problématique adressée.
Hugo : « Vos projets sont aujourd’hui à des stades de déploiement différents, mais ils partagent le fait d’avoir évolué dans leur forme, leur public cible ou leur approche, pendant et après le programme. Comment s’est passée pour vous cette évolution ?
Yoann : On est arrivé en binôme dans l’Incubateur civique, Grégory et moi, avec l’idée d’implanter localement le concept japonais des mini-forêts. On avait en tête un schéma très classique de l’entrepreneuriat alors, sans se poser trop de questions sur la structure, on imaginait créer une entreprise. C’est en redéfinissant notre cible d’impact, la proposition de valeur du concept et, par extension, d’autres potentiels partenaires qu’a été envisagé le modèle de l’OBNL. C’était tout un changement pour nous que de sortir des stéréotypes de l’entrepreneur « business » dans lequel on se projetait.
Hugo : Je me souviens bien de ce cheminement. Quand vous êtes entrés dans l’Incubateur civique, vous parliez beaucoup des microforêts comme étant un vecteur de capture de carbone. Puis, on s’est mis à se questionner sur la valeur d’une forêt en ville. En identifiant les nombreux avantages comme les économies sur les infrastructures, les impacts sociaux du retour de la biodiversité, la connexion au vivant, la réduction des îlots de chaleur, etc, c’est tout un autre champ des possibles qui s’est ouvert dans la conception du projet.
Céline-Audrey : Avec Ariane, l’autre moitié de notre binôme, on a commencé le parcours avec un OBNL déjà créé, du financement et un soutien de la Ville pour lancer les activités sur le stationnement Éthel. Il restait à déterminer la programmation, l’orientation du projet et la mission. Grâce à l’accompagnement de l’Incubateur civique, on a non seulement abordé les notions d’inclusion, de diversité et d’équité dans la programmation, mais on est aussi allées plus loin dans la projection des impacts, positifs comme négatifs, d’une telle initiative dans le quartier. On ne voulait pas répliquer les aménagements faits ailleurs sans y inclure l’identité de Verdun et sans sonder les gens concernés. Faire un pas de recul et prendre le temps d’aller parler à la population, par le porte-à-porte, nous a fourni des éléments importants et légitimes à apporter autour de la table des parties prenantes de ce projet, pour les convaincre de repartir d’une page blanche !
Alexandre : De mon côté, si mes intentions étaient claires à mon arrivée dans la cohorte, la solution ne l’était pas autant. En tout cas, c’est ce qu’ont révélé les différents exercices lors des ateliers. Je réalisais que le projet dans lequel je m’embarquais devait s’insérer dans un écosystème qui était super complexe. Au fur et à mesure, ma compréhension s’est affinée et tout a commencé à se mettre en place de manière plus limpide en séparant des composantes trop imbriquées les unes dans les autres. Elles avaient besoin de prendre forme chacune à travers leur propre projet. Grâce à ces apprentissages, L’Ensemble était bien avancé à la sortie de l’Incubateur civique, mais je sentais que j’avais encore besoin de coaching. Les heures offertes post-cohorte m’ont été infiniment utiles lorsque mon projet a dû évoluer pour répondre au changement des problématiques actuelles autour de l’habitat. Maintenant sous forme d’OBNL, on s’enligne vers une autre clientèle que sont les municipalités et on mène un projet pilote en dehors de Montréal car une opportunité de déploiement s’est présentée dans la région de Brome-Missisquoi. »
Dans leur retour d’expérience, l’ensemble des lauréates et des lauréats évoquent fréquemment à quel point ce programme s’est révélé enrichissant et transformateur. Les apprentissages de l’Incubateur civique les accompagnent dans leur vie personnelle et professionnelle, et dans leurs autres projets au cœur desquels se placent dorénavant l’impact et l’innovation sociale. Pour Céline-Audrey, cela se concrétise par le fait de revenir à l’essentiel dans les dossiers de sa nouvelle carrière en tant que conseillère d’arrondissement, et à s’interroger sur l’impact global d’un projet. Pour Alexandre, ses nouveaux acquis l’accompagnent dans sa pratique d’architecture qu’il met dorénavant au service des problématiques sociales du bâti dans chacun de ses mandats.
Crédit photo : Youssef Shoufan
Le devenir d’un projet sans l’Incubateur civique
Hugo : « Et si… vous n’aviez pas participé au programme de l’Incubateur civique, pouvez-vous imaginer ce que serait devenu votre projet ?
Yoann : Je ne pense pas qu’on serait au même point que là où on est actuellement si l’équipe de l’Incubateur civique ne nous avait pas fourni autant de contacts. C’était un véritable catalyseur pour nous. On nous a aidés aussi à développer notre esprit critique par rapport à la documentation qu’on avait rassemblée sur le concept des microforêts et à définir une solution dans laquelle on se reconnaît. Aujourd’hui, le projet est déployé. Il est sur les rails. Même en y consacrant seulement quelques heures par semaine à côté d’une job à temps plein, on a déjà deux plantations, une troisième en cours et d’autres projets pour l’année prochaine. C’est solide et on poursuit notre mission avec enthousiasme !
Alexandre : Je repense à tout le chemin parcouru, puis tous les apprentissages que j’ai faits dans l’Incubateur civique et j’ai comme l’impression qu’il n’y aurait rien de concret aujourd’hui, pas de projet. Oui, il y avait l’étincelle d’une idée un peu abstraite, d’une vision idéaliste, mais sans la MIS cette vision ne serait jamais devenue réalité. Si je pouvais parler au « moi » du début, je me féliciterais d’avoir pris la bonne décision en intégrant le programme. J’y ai découvert des outils et un soutien précieux, notamment le volet sur la résilience qui m’a aidé au niveau personnel à porter le projet seul pendant la cohorte et à garder le cap ensuite.
Céline-Audrey : Imagine une plante qui aime l’ombre et que tu mets en plein soleil. Ça laisse une trace marquante de ne pas prendre en compte l’environnement dans lequel on s’insère. C’est comme ça que je vois les choses avec le projet Éthel. Sans le recul pris pendant le parcours d’accompagnement, le dossier serait allé de l’avant avec des angles morts, sans prendre en considération les conséquences économiques et résidentielles sur les populations plus vulnérables. L’Incubateur civique m’a outillée dans l’analyse de l’impact… et m’a appris la patience aussi ! De par la complexité de l’écosystème, ce projet va encore évoluer, rencontrer des obstacles à différents paliers et prendre du temps à se déployer. Je dois m’y faire. Il n’en sera pas moins beau ou moins important au final parce que le chemin est plus long que pour d’autres initiatives. L’important est de continuer à rêver et d’aller de l’avant. »