Oublier le gazon pour mieux renouer avec la nature : le défi lancé par Nouveaux Voisins

Nouveaux Voisins est un OBNL cofondé à Montréal en 2019 par Philippe Asselin, Jonathan Lapalme et Émile Forest. Le projet est présentement développé en partenariat avec Dark Matter Labs, Vivant et l’Enclume.

La MIS s’est entretenue avec Philippe Asselin— architecte paysagiste, et Jonathan Lapalme — entrepreneur et designer stratégique chez Dark Matter Labs, car elle s’intéresse à ce projet innovant pour son potentiel d’impact systémique, mais aussi comme terrain d’expérimentation dans ses multiples activités de recherche et de développement (R et D) sociale.

L’urgence de régénérer de la biodiversité

« Nous ne connaissons plus nos voisins et voisines ». C’est le constat fait par Nouveaux Voisins en s’appuyant sur ces chiffres : 50 %¹ d’infrastructures naturelles ont été détruites dans la Communauté métropolitaine de Montréal depuis le début des années 1960. Avec la disparition des espaces vagues naturels, la population des oiseaux et des insectes est particulièrement menacée et leur déclin est deux fois plus rapide² que les espèces vertébrées.

En cause, le développement urbain et l’emprise de la pelouse sur les espaces verts. Quand ces espaces ne perdent pas du terrain sur les surfaces minérales, ils sont bien souvent recouverts de gazon. Fragile, gourmand en eau et régulièrement tondu au ras du sol par des machines à essence, le gazon est un véritable désert de biodiversité, peu résilient aux vagues de chaleur et dont l’entretien émet des gaz à effet de serre.

Source de l’image : Unsplash

Du gazon, il y en a partout

Autour des monuments, au bord des autoroutes, entre les bâtiments, devant chez soi ; depuis les années 1950, le gazon est la norme dans l’aménagement paysager. Rien que sur le territoire du grand Montréal, la surface occupée par le gazon est estimée à 68 000 hectares³, soit 357 fois la superficie du parc du Mont-Royal.

Pourquoi un tel engouement ?

« L’attrait esthétique du gazon ras, bien vert, débarrassé de toute autre plante, est encore très fort. Pour beaucoup, cela reste la définition “d’un beau jardin”. Les citoyens et citoyennes n’ont pas conscience des enjeux concernant leurs cours privées et répètent ce qu’ils connaissent, à savoir le gazon. »

Philippe

De la constatation des demandes d’aménagement anthropocentré, qui reflètent des envies qui ne tiennent pas compte du respect de la nature, naît l’idée de Nouveaux Voisins : profiter du potentiel considérable de l’aménagement paysager en facilitant la régénération d’espaces gazonnés en espaces pour la biodiversité.

« Moins de gazon, plus de biodiversité »

Pourquoi le nom Nouveaux Voisins ?
« Pour désigner d’autres espèces vivantes avec lesquelles cohabiter en milieu urbain et ainsi redéfinir la notion de voisinage au-delà de l’humain. En se réappropriant l’aménagement des terrains devant ou proche de chez soi, chacun peut participer de manière concrète à créer plus de biodiversité, donc à attirer de nouveaux voisins, en portant une attention aux plantes qui vont y prendre place et aux oiseaux et insectes que celles-ci supportent, par exemple. »

Jonathan

Crédit photo: Ville de Montréal

Mais la population est-elle prête à laisser de côté ses habitudes esthétiques au profit d’une nature plus luxuriante et moins maîtrisée ?

« Il y a des précurseurs importants aux États-Unis, on observe un mouvement qui prend de l’ampleur. Des résidentes et résidents se regroupent et se posent des questions sur leur impact, ils agissent en réaménageant leur jardin : ils laissent la pelouse pousser, ils plantent des fleurs sauvages appréciées des insectes pollinisateurs. »

Philippe

« Au Canada aussi les idées font leur chemin. Pour exemple, la campagne de sensibilisation “En mai on laisse pousser” relayée sur la page Facebook de Nouveaux Voisins a été partagée près de 600 fois. Cela renforce notre ambition d’accompagner cette transformation des paysages en proposant des aménagements alternatifs, en développant des outils variés pour assister les communautés dans leur démarche. »

Jonathan

Actionner différents leviers simultanément

Pour mener à bien leur mission, l’équipe de Nouveaux Voisins a identifié des blocages à lever. Ils se situent à plusieurs niveaux :

  1. Le manque de documentation sur les plantes à privilégier et les étapes à suivre ; s’il y a bien quelques études sur lesquelles s’appuyer concernant l’importance de minimiser le gazon, elles ne fournissent pas d’information clé en main quant aux alternatives efficaces.
  2. La disponibilité des plantes ; les plantes indigènes n’étant pas très populaires dans les jardineries en comparaison des plantes ornementales, les fournisseurs en proposent une quantité limitée.
  3. Les normes esthétiques ; faire accepter un projet alternatif visuellement à une clientèle habituée à un standard ornemental ou soucieuse de l’opinion du voisinage qui pourrait percevoir ce nouvel aménagement comme malpropre.
  4. Les règlements municipaux ; certaines réglementations désuètes, comme la hauteur maximale de la végétation, peuvent freiner les réaménagements des espaces verts et même punir les résidents voulant encourager la biodiversité par des amendes pouvant aller jusqu’à plusieurs milliers de dollars.

Avant/après : réaménagement d’un coin de rue à Montréal par Nouveaux Voisins

Une phase d’expérimentation en 2019-2020 a permis à Nouveaux Voisins de lancer plusieurs projets pilotes de transformation de terrains à Montréal, d’interagir avec des résidents et résidentes pour les sensibiliser à leur impact et de documenter les meilleures pratiques horticoles pour réhabiliter la biodiversité.

Tous ces apprentissages vont être rassemblés sur une plateforme numérique accessible à tous et à toutes. L’équipe de Nouveaux Voisins est présentement à la recherche de partenaires financiers pour assurer son développement.

Comment décupler l’impact positivement

« Ce n’est pas parce que les règlements changent que la société est prête à l’accepter et à changer. Les normes sociales en sont aussi pour beaucoup lorsqu’il est question du gazon. Or, ce qui va donner de la dimension au projet, c’est l’appropriation de nouvelles pratiques durables par une large partie de la population. L’impact positif va se décupler par le collectif. »

Jonathan

Comment faire accepter le changement alors qu’il nécessite un lâcher-prise sur les sentiments de fierté, de respect du voisinage et de sécurité apportée par une pelouse parfaitement tondue, en plus de s’habituer à un nouvel esthétisme ? En travaillant sur les normes sociales et culturelles dans le rapport à l’aménagement paysager. La MIS, qui soutient les projets à fort impact social et environnemental en phase d’amorçage, accompagne Nouveaux Voisins de façon ponctuelle dans la conception de leur stratégie d’impact, mais prévoit aussi de les accompagner de façon plus soutenue notamment dans leur démarche pour transformer les récits actuels autour du gazon.

Comme pour l’AcadieLab, un projet qui favorise l’émergence de solutions pérennes et adaptées aux communautés impliquées et qui cible, comme Nouveaux Voisins, une transformation sur le plan des valeurs et des comportements, la MIS s’appuie sur plusieurs outils pour offrir un accompagnement adapté. Pour Nouveaux Voisins, le travail autour de la Théorie du changement est déterminant. En cartographiant les différentes étapes pour produire un changement et mobiliser un écosystème, l’objectif est de fournir des ressources aux personnes souhaitant promouvoir la biodiversité afin qu’elles s’approprient de nouvelles pratiques, aient des appuis solides pour maintenir les changements sur le long terme et disposent de ressources pour, à leur tour, influencer les différentes parties prenantes de leur milieu.

La MIS voit dans Nouveaux Voisins non seulement un projet d’innovation sociale dont le potentiel d’impact socio environnemental systémique est conséquent, mais aussi un terrain d’expérimentation idéal pour certains de ses laboratoires de R et D sociale. Comme la mise en œuvre de Nouveaux Voisins et sa mise à l’échelle sont tributaires en partie de la réduction de certaines barrières systémiques, ce sont des raisons de plus de l’intégrer comme projet d’expérimentation sur les plans de l’innovation réglementaire et de l’innovation financière.

Restez à l’affût pour en savoir plus. D’ici là, à vos pelouses !

¹ Source : Fondation Suzuki
² Source : Worldwide decline of the entomofauna: A review of its drivers, Sánchez-Bayoa & Wyckhuys, 2019
³ Source : Fondation Suzuki – La fin du gazon

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