Partager son histoire pour rendre la « Vie de quartier » plus inclusive
Mais dans le contexte actuel de forte mobilité, comment entretenir ce sentiment d’appartenance ? Face à la fragmentation des espaces de vie, quelles sont les solutions pour favoriser la cohésion sociale ? Avec Vie de quartier, un projet lauréat de la cohorte 2022 de l’Incubateur civique, Béatrice Daudelin met l’histoire au service du vivre-ensemble en créant des ponts entre les individus et la diversité culturelle des communautés faisant Montréal.
Le quartier, un espace de proximité à préserver
D’un territoire délimitant un bloc jusqu’à quelques rues, un quartier peut être un espace aux contours flous. S’affranchissant du zonage administratif, son identité se construit de l’arrivée successive des communautés qui s’y installent. Son histoire, en constante évolution, est nourrie des parcours de ses communautés, de leurs trajectoires résidentielles et de leur insertion sociale dans cet espace.
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Certains phénomènes viennent cependant bousculer cette dynamique naturelle. Soutenue par une mobilité croissante, la gentrification attise les tensions en fragilisant l’équilibre entre les nouvelles personnes, plus aisées, arrivées dans le quartier et celles présentes de longue date qui portent l’histoire et la culture locales. Face à un territoire qui tend à s’uniformiser autour de commerces et d’espaces de vie répondant à de nouveaux besoins, ces dernières se sentent dépossédées de leurs narratifs et invisibilisées dans leur environnement en mutation.
Or, ce qui crée précisément de la valeur et incite des individus à s’installer dans un quartier, c’est bien son héritage culturel, ses histoires, sa diversité, son dynamisme, ses particularités. En assurant la continuité avec le passé, ces éléments renforcent l’attachement au lieu et à la collectivité, clé de voûte d’un tissu social fort. Alors, comment les préserver des clivages communautaires?
L'histoire au service de la cohésion sociale
En effet, si l’on a tendance à « protéger ce qu’on aime » comme le disait un certain explorateur, un attachement fort à son quartier n’est pas garant d’intérêts communs ou d’une vision inclusive. Pour Béatrice Daudelin, cette dynamique est en corrélation avec l’iniquité dans le narratif historique des villes, et plus particulièrement de Montréal. Sensibilisée au discours eurocentriste durant son parcours universitaire, elle s’est alors intéressée à l’impact des récits normatifs sur le développement des quartiers :
« Les personnes dont les récits sont mis à l’écart du discours établi sont aussi généralement celles qui subissent de la discrimination. J’ai réalisé que continuer à transmettre une histoire tronquée du vécu de diverses communautés présentes à Montréal entretient leur marginalisation et donc entrave la cohésion sociale. » — Béatrice
Au moyen de l’histoire, Béatrice cherche alors à favoriser la découverte des identités multiples de la ville en valorisant la vie des quartiers, en la faisant connaître à l’ensemble des communautés, tout en allant chercher celles et ceux qui évoluent loin de la diversité. Elle imagine d’abord le projet Vie de quartier autour de l’installation de panneaux interactifs dans l’espace public de différents quartiers de Montréal, qui interpellent les résidentes et les résidents et sur lesquels on peut voir une ligne de temps et lire une note : « Inscrivez sur la ligne du temps la date d’un événement important selon vous qui mérite d’être connu. »
Placés aux intersections des rues passantes, les babillards s’invitent dans le rythme des déambulations quotidiennes et incitent la population à la réflexion. Grâce à cette exposition, les panneaux donnent l’occasion d’attirer un public plus large que celui déjà sensibilisé à la diversité culturelle. Béatrice précise :
« C’est important que les panneaux prennent place à l’extérieur et pas dans un espace clos, dans le but d’aller vers les populations, de faire exister un espace véritablement public. Car c’est une tout autre démarche que de pousser la porte d’un centre communautaire ou culturel après s’être renseigné sur les organisations existantes et leur programmation. Alors qu’un tableau sur notre trajet attire l’attention et peut provoquer une interaction spontanée. » — Béatrice
En apportant des éléments ludiques porteurs d’histoire dans l’espace public, Vie de quartier permet de bâtir un premier pont intercommunautaire et de réduire la distance apparente entre les différents groupes. Grâce à ces espaces de rencontre asynchrone, les individus ont l’opportunité d’en connaître davantage sur les autres sans nécessairement se croiser. Leur réserve quant à l’appréhension de réalités diverses est atténuée par le passage à l’action, générateur d’un désir d’aller plus loin dans la rencontre avec l’autre.
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Se réapproprier son projet
Dans la mouture initiale du projet, Béatrice a imaginé pour les panneaux tout un parcours de transfert d’un quartier à un autre afin de proposer un narratif plus inclusif à l’échelle de la ville. En voulant répondre à une problématique aussi complexe, la fondatrice de Vie de quartier a envisagé son initiative dans sa plus grande envergure, au point de réveiller son syndrome de l’imposteur :
« J’ai douté de ma légitimité à porter un projet aussi large, sur le fait d’intervenir alors que des organismes existent déjà et sur le fait que mes propres biais pouvaient entraver son développement. » — Béatrice
L’accompagnement des coachs de l’Incubateur civique a été déterminant pour adresser les questionnements de Béatrice, l’amener à gagner en confiance et à transformer sa posture en tant que leadeure de projet. Différents exercices l’ont aidée à replacer Vie de quartier en perspective avec elle-même. En retravaillant sa solution, elle a imaginé la plus petite version viable de son projet qui répond à la fois aux impacts visés, mais aussi à ses forces et à ses envies.
La version pilote va se concentrer durant les prochains mois dans le Mile-End, un quartier que Béatrice connaît bien pour y avoir grandi, ayant une histoire très riche autour de la rencontre d’une succession de cultures et qui subit de plein fouet les effets de la gentrification. Ainsi, plutôt que de multiplier les babillards et de s’étendre à d’autres quartiers, il est préférable de valider les expérimentations sur un premier territoire. L’implantation de panneaux plus détaillés, qui cherchent à récolter davantage de données sur le sentiment de communauté à travers des questions et une cartographie du quartier, va permettre de tester leur capacité à générer la participation des populations résidentes et à établir leurs profils plus précisément.
Ces données serviront à choisir un lieu physique de rencontre citoyen et à développer des activités pour favoriser les échanges et mobiliser les gens du quartier :
« J’aimais l’idée initiale d’installation éphémère et des panneaux avec une simple ligne de temps, mouvant dans l’espace public. Mais avec du recul, l’expérience n’était pas complète. Un lieu « Vie de quartier » est également nécessaire pour favoriser les contacts, les échanges. Car sans dialogue, peut-on vraiment ouvrir les imaginaires ? » — Béatrice
À travers ce déploiement, Béatrice vise l’autonomisation progressive des communautés dans la prise d’initiatives de ces rencontres, avec l’appui des organismes communautaires et culturels présents au sein du Mile-End. Le projet vous interpelle ? Vie de quartier est à la recherche d’emplacements prêts à accueillir un babillard et est ouvert aux conseils sur la mise en commun de récits et sur la création d’un espace physique communautaire. Contactez Béatrice !