Village Urbain développe le cohabitat pour vivre en ville autrement

Sélectionné dans la cohorte 2019-2020 de l’Incubateur civique, le projet est porté par Estelle Le Roux Joky et Pascal Huynh, un duo en quête d’espaces accessibles à l’ensemble de la population, durables et humains, en milieu urbain.

Une autre manière de vivre ensemble

Qu’entend-on par cohabitat ? Lorsqu’il s’agit d’habiter avec des personnes d’horizons différents, la colocation nous est plutôt familière : des colocataires louent et partagent un logement, disposent généralement d’un espace personnel, comme une chambre, et circulent librement dans la résidence commune.

Un autre modèle qu’est la coopérative d’habitation offre à ses locataires, qui deviennent des membres, un accès à un logement à moindre coût en échange de leur implication dans la gestion et l’animation de leur lieu de vie.

Source de l’image : Cohabitat Québec

Si le cohabitat porte également l’idée de collectif, il se définit plus largement comme un projet immobilier résidentiel et participatif. C’est un milieu de vie pensé par ses résidents et résidentes, où des unités de logement individuelles sont aménagées autour d’espaces mutualisés et autogérés, comme une cuisine, un jardin, une salle de jeux ou encore une salle à manger. En cherchant l’équilibre entre les espaces individuels et collectifs, le but est de développer des liens d’entraide et de collaboration, menant à une amélioration de la qualité de vie.

Ce groupe forme une communauté intentionnelle, soit un ensemble de personnes n’ayant pas nécessairement de liens biologiques et partageant le désir de vivre ensemble en un lieu donné. Elles partagent bien souvent des valeurs éthiques, sociales et environnementales, guidant la gestion de la structure qui peut prendre la forme d’une copropriété privée, d’une coopérative d’habitation ou encore d’un OBNL.

Estelle Le Roux Joky et Pascal Huynh

Les défis à relever

Le concept de cohabitat est apparu au Danemark dans les années 1970, puis s’est développé dans quelques pays d’Europe comme réponse aux premières crises du logement, avant de gagner l’Amérique du Nord. Au Canada, le premier projet de cohabitat a été réalisé en 1996 à Vancouver. Depuis, « une dizaine de projets seulement ont vu le jour, dont deux au Québec » selon Estelle. Est-ce l’absence de demande qui freine le développement du cohabitat ?

« C’est certain qu’il y a beaucoup de demandes au Québec. De nombreuses familles, avec de jeunes enfants particulièrement, souhaitent habiter différemment en ville, se réapproprier l’espace urbain et y ajouter une dimension locale et coopérative. Conscientes de leur impact écologique, elles cherchent à moins consommer, privilégient l’usage à la propriété des biens de consommation et la mutualisation des espaces de vie. »

Pascal

Or, seules deux structures officielles québécoises ont abouti, sous la forme de copropriétés privées à Québec. Car il faut compter dix ans pour concrétiser un projet de cohabitat, notamment en raison de lois restrictives spécifiques qui engagent les projets dans de longs processus, de l’important engagement financier et personnel de la future communauté et du manque de terrains urbains abordables.

Une première expérience de cohabitat

Un échange universitaire en Australie donne à Pascal l’occasion d’expérimenter le cohabitat. Il y découvre la richesse de la vie en communauté et se délecte des tranches de vie échangées avec les cohabitants et cohabitantes. Il en vient même à considérer ces apprentissages comme étant plus formateurs que l’enseignement universitaire qu’il suit.

Il se découvre une passion pour le design d’espace et le design d’interaction, qui consistent à définir la façon dont les personnes interagissent dans un espace au fil du temps et entre elles, ainsi qu’avec les produits ou services à leur disposition.

Windsong Cohousing, premier projet de cohabitat au Canada, banlieue est de Vancouver

De retour à Montréal, il s’installe dans une communauté intentionnelle et s’investit dynamiquement dans le secteur communautaire et immobilier : au sein du Comité Citoyen Milton-Parc et du projet ECOLE, en tant que fondateur de la coopérative d’habitation le Trapèze. Il est également le coorganisateur en 2018 de la Journée des communautés intentionnelles de Montréal (JCIM).

« Nous avons réuni des communautés de Montréal et des alentours du Québec pour venir partager des outils qu’elles utilisent pour vivre ensemble. »

Pascal

Suite à cet événement, Pascal est contacté par Estelle. Travaillant dans la finance immobilière, elle se questionne sur de meilleures pratiques d’habitation et cherche à mettre ses compétences de gestion et son expertise financière au service d’un projet immobilier alliant innovation sociale, respect de l’environnement et permettant de répondre aux grands défis de l’urbanisation.

Crédit photo : MIS

« Paradoxalement, dans un monde de plus en plus urbain et connecté, l’isolement social est devenu un véritable fléau. Les aînés vieillissent seuls et les parents vivent loin de leurs proches. Au Québec, près d’une personne sur 10 déclare n’avoir aucun ami proche. » (Institut de la statistique du Québec, 2013)

Estelle

Le cohabitat répond à cette problématique et en créant Village Urbain, Estelle et Pascal décident de démocratiser ce mode de vie en développant et en soutenant des milieux de vie participatifs générateurs de liens sociaux.

« Notre objectif est de promouvoir et développer le cohabitat au Québec, de l’idéation à la gestion quotidienne. Notre projet s’inscrit dans un contexte où l’accès au logement est de plus en plus en difficile dans les grandes villes dû, notamment, à une pénurie de logements et à une hausse des coûts des habitations tant à l’achat qu’à la location. »

Pascal

Crédit photo : Youssef Shoufan

Affirmer la mission de Village Urbain avec l'Incubateur civique

« Il était évident que Village Urbain allait se positionner comme un facilitateur, mais le projet n’en était qu’à l’idéation. Nous avions besoin de le rendre concret. »

Estelle

Tandis que Pascal connaissait l’Incubateur civique pour avoir échangé avec un lauréat de la cohorte 2018-2019, Estelle a vu passer l’appel à projets et lui a proposé d’envoyer leur candidature : « S’engager à suivre un accompagnement sur plusieurs mois permet de se découvrir et de valider aussi la bonne entente entre leaders de projets. »

L’objectif de Village Urbain est de professionnaliser le savoir-faire du développement du cohabitat au Québec : « Nous cherchions à nous engager sur les bonnes pistes de réflexion, précise Pascal, des cohabitats existent déjà, donc la réalisation n’est plus à prouver. Il nous fallait plutôt définir une méthode efficace pour démocratiser le cohabitat, tout en canalisant notre énergie pour garder le focus et la motivation. L’Incubateur civique nous a fait gagner un temps précieux. »

Au fil des ateliers, Estelle et Pascal ont structuré le projet et identifié trois volets d’actions à mener afin de promouvoir et développer le cohabitat au Québec :

  1. Sensibiliser et former aux principes du cohabitat;
  2. Accompagner des groupes de citoyens qui démarrent un cohabitat ou veulent transformer leur habitat, en documentant les bonnes pratiques en termes d’architecture, de design, d’organisation sociale et de structuration financière et légale;
  3. Développer et faire la promotion de cohabitats.

Le prochain projet à bénéficier de l’accompagnement de Village Urbain est la Coop Trapèze, une coopérative d’habitation d’une soixantaine d’unités de logement présentement en construction dans le Vieux-Port de Montréal. Les membres s’appuient sur les recommandations de Village Urbain dans l’aménagement de l’espace et dans l’élaboration des règlements internes de leur habitation, un moyen direct d’accélérer la vitesse de réalisation du projet et d’augmenter son taux de succès.

Le contexte actuel de pandémie de la COVID-19 offrirait-il l’opportunité de justement multiplier les projets ? Entre les réseaux d’entraide qui ont émergé pendant le confinement, les efforts de solidarité déployés envers les personnes isolées et vulnérables ainsi que les enjeux de sécurité et d’autonomie alimentaires, le cohabitat pourrait bien devenir un modèle à adopter pour faire face aux futurs défis sanitaires, sociaux et environnementaux.

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