#01, Juin 2019
L’ENTRETIEN
L’aventure du budget participatif
Cinq questions au maire de Mercier—Hochelaga-Maisonneuve
Confier une partie du portefeuille municipal aux habitants d’une ville n’est pas une initiative nouvelle. Depuis le début du millénaire, le Centre d’écologie urbaine, à Montréal, accompagne les municipalités qui font ce pari d’un véritable exercice de démocratie participative.
Les 40 000 habitants de Mercier-Ouest disposent cette année d’un budget de 350 000 $ pour réaliser des projets qu’ils auront choisis ensemble pour leur quartier. Pour le maire Pierre Lessard-Blais, il est urgent de combattre la crise de confiance qui mine notre société en donnant un pouvoir exécutif réel à ses concitoyens.
Raccords: Comment se déroule le processus de budget participatif, jusqu’à maintenant?
Pierre Lessard-Blais: Plus de 150 propositions ont été déposées pendant la phase de collecte des idées. Il s’agit principalement de projets de verdissement, de sécurité ou d’offre alimentaire. Les citoyens pouvaient proposer des idées en ligne, mais nous avons constaté que les suggestions approfondies en groupe durant les ateliers d’idéation étaient souvent plus riches et reflétaient les besoins du quartier.
L’ensemble du processus est encadré par un comité de pilotage, composé de citoyens, de membres de la Table de quartier de Mercier-Ouest, d’élus et de fonctionnaires municipaux. Dès le mois prochain, il animera le Forum de développement de projets, à l’issue duquel 30 idées seront soumises à nos équipes municipales, qui évalueront leur faisabilité en termes plus techniques, notamment urbanistiques.
Le scrutin, basé sur l’honneur, aura lieu au mois d’octobre. C’est un processus innovant par rapport aux usages démocratiques habituels, mais il reflète bien l’esprit du projet, car il permettra d’éviter la lourdeur administrative liée à une vérification systématique des adresses et ouvre la participation aux mineurs.
Les habitants pourront voter sur Internet, mais nous envisageons de privilégier la voix de ceux qui se seront déplacés dans les bureaux ouverts à cette intention—à la bibliothèque, à l’aréna et chez les organismes partenaires—et qui seront autant de lieux de présentation des projets, mais aussi de discussion entre les membres de la communauté, ce qui est notre objectif final. La mobilisation en ligne, soutenue par les réseaux sociaux, facilite la participation, mais sert parfois davantage les intérêts individuels que la collectivité. Si on veut combattre le cynisme et l’atomisation de la société, ça ne se fera pas en restant chacun derrière son écran, mais en allant à la rencontre des autres.
Quels ont été les principes directeurs et les bonnes pratiques retenus par le comité?
Nous avons souhaité nous affranchir des lourdeurs bureaucratiques et décloisonner les sujets afin de libérer la créativité et de permettre aux citoyens de faire preuve d’audace. Nous voulons qu’ils comprennent qu’un véritable pouvoir exécutif leur est donné: notre équipe s’est engagée à débloquer les fonds, mais ne participe pas autrement au processus. Nous ne proposons pas de projets et ne faisons pas davantage campagne pour en soutenir un plutôt qu’un autre.
Néanmoins, les idées doivent pouvoir se réaliser sans empiéter sur les ressources de fonctionnement de l’arrondissement, c’est une des seules contraintes que nous avons fixées. Elle tient compte de notre réalité budgétaire, et chaque budget participatif doit avant tout refléter sa couleur locale. Les fonds devront donc emprunter au Plan triennal d’immobilisations. L’enveloppe de cette année représente 10% de ce plan pour le quartier, c’est un premier essai ambitieux.
Les partisans du budget participatif louent sa capacité à lutter contre les inégalités inhérentes au système représentatif. Quels moyens ont été mis en place pour engager la population du quartier dans son ensemble, et notamment les groupes minoritaires?
Nous voulons que le budget participatif soit un outil de construction du vivre-ensemble et du développement de la communauté. Nous avons donc envoyé des invitations à tous les habitants et acheté de nombreux espaces publicitaires. Mais Mercier-Ouest est un quartier enclavé, bordé par des industries, une zone éclatée où le sentiment d’appartenance peine parfois à émerger. Nous nous devions d’être présents partout, c’est pourquoi nous avons mené une réflexion poussée sur l’emplacement des différents ateliers d’idéation.
Mais au-delà des divisions géographiques, nous devons absolument aller voir les exclus, dont la parole est moins entendue. Pour ce faire, nous avons veillé à être hébergés par des organismes capables de stimuler la participation de gens moins habitués à l’exercice du pouvoir. Le plus bel exemple est la collaboration avec Projet Harmonie, un OBNL qui intervient aux Habitations La Pépinière. L’atelier qui s’y est tenu a attiré de nombreux habitants des rues voisines qui ignoraient son existence. Des gens de milieux différents ont pu discuter du quartier ensemble.
Bien sûr, nous souhaitons aussi que les citoyens dotés d’un certain capital culturel, et dont les réflexes d’engagement politique sont déjà développés, participent au budget participatif. Ils comprennent comment fonctionnent le système et leurs idées sont nécessaires.
Le budget participatif de Mercier-Ouest est-il un aboutissement ou le début de quelque chose?
La Ville de Montréal a intégré le budget participatif parmi les questions principales de ses consultations prébudgétaires, démontrant son intérêt réel pour la question. Notre arrondissement pourrait donc être un laboratoire passionnant pour des initiatives plus larges dans un futur proche. Par la suite, nous pourrions alterner l’exercice dans les trois quartiers de l’arrondissement, ou mener un budget participatif à l’échelle de la ville en parallèle des quartiers, comme on le fait à Paris.
Mais la participation est l’enjeu prioritaire si nous voulons réitérer l’expérience: sans l’implication d’un pourcentage minimum de la population, le budget participatif ne serait qu’une manne financière à la disposition des groupes de pression citoyens déjà organisés politiquement. Nous devrons également démontrer à nos détracteurs que les gens sont capables de dépasser leur intérêt personnel et de prendre conscience des besoins prioritaires d’un milieu.
Cette expérience est surtout le reflet d’une volonté globale de rapprocher les instances municipales de la population et de changer notre façon de communiquer. Des mesures moins médiatiques que le budget participatif, comme le développement de nos compétences en matière de consultation publique, ou la création d’outils pédagogiques pour décoder les réglementations municipales, sont nécessaires pour combattre la crise démocratique à laquelle nous sommes confrontés. Si nous n’innovons pas, les citoyens vont continuer de s’éloigner de l’exécutif, et le dérapage est assuré. Partager véritablement le pouvoir avec eux est la seule façon de regagner leur confiance et de provoquer leur adhésion.
La participation citoyenne a-t-elle le pouvoir de changer les choses en profondeur?
C’est évident! Elle est indispensable pour appuyer l’action des élus face aux enjeux que la crise actuelle, notamment environnementale, soulève. Seul le soutien de nos concitoyens peut nous donner le courage suffisant pour entreprendre les transformations nécessaires.
Par ailleurs, avec un bassin de 144 000 personnes à Mercier–Hochelaga-Maisonneuve, je ne peux pas connaître tout mon district. J’ai besoin des citoyens.
Les orientations municipales ont une influence directe et majeure sur la vie des habitants. Mais à l’inverse, les élus ne sont rien sans leur aval. Il faut sortir du cynisme romantique qui consiste à penser que «de toute façon ça ne changera jamais», car transformer la société n’est pas une tâche facile et ne se fera pas en un jour. Seule une véritable répartition du pouvoir peut donner son plein potentiel à la démocratie.
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