#14, Juin 2023

L’ENTRETIEN

Redéfinir nos normes sociales pour vaincre l'impasse socio-écologique

Raccords #14 : Redéfinir nos normes sociales pour vaincre l'impasse socio-écologique. Un entretien avec Laetitia Guibert, animatrice de la Fresque des Nouveaux Récits.

Photo : Courtoisie Laetitia Guibert

Laetitia Guibert accompagne depuis une décennie les entreprises voulant intégrer les dimensions environnementales et sociales à leur modèle d’affaires. Frustrée par la lenteur des progrès qu’elle observait, elle a décidé de lancer le projet ACT Transition, pour lequel elle a codéveloppé la Fresque des Nouveaux Récits et l’association du même nom.

Le pari de la Fresque des Nouveaux Récits

Se basant sur les plus récentes connaissances en neuroscience, cet outil permet aux individus, entreprises et institutions d’imaginer un avenir différent — et meilleur. Rien de moins. Nous avons rencontrée Laetitia Guibert pour discuter avec elle de sa révolution des idées.

Entretien avec Laetitia Guibert de la Fresque des Nouveaux Récits

Raccords : Vous vous êtes consacrée à la responsabilité sociale des entreprises (RSE) pendant plusieurs années. Pourquoi aujourd’hui changer de direction ? Qu’est-ce qui ne fonctionne pas selon vous dans cette approche ?

Laetitia Guibert : Je me suis beaucoup demandé : qu’est-ce qui bloque ? Qu’est-ce qui fait qu’on arrive si peu à mobiliser les gens autour du sujet de la transformation, du développement durable, de la RSE ? Qu’est-ce qui fait que même si on sait que globalement on fonce dans le mur, on court encore plus vite ? Je me suis rendu compte, en prenant du recul, que dans les méthodes d’accompagnement aux changements aujourd’hui, on oublie un prisme essentiel : celui du facteur humain. On essaie de changer les organisations à travers les stratégies, les plans d’action, avec de belles feuilles de route et de beaux indicateurs, mais on ne prend pas en considération ceux et celles qui les composent, à savoir des êtres humains dotés de capacités cognitives et émotionnelles qui peuvent être à la fois de véritables moteurs au changement et à l’action, mais aussi de véritables freins.

Suite à ce constat, j’ai décidé de suivre une formation sur l’approche neurocognitive et comportementale qui est offerte par l’Institut de neurocognitivisme à Paris. La formation a été montée par Jacques Fradin, qui est aussi le cofondateur et président du Groupe International d’Experts sur les Changements de Comportement (GIECO). On peut décrire ce groupe comme étant le GIEC des comportements. Y sont rassemblés des sociologues, des anthropologues, des neuroscientifiques, des psychologues qui essayent de comprendre quelle part le facteur humain a à jouer dans l’enjeu de la transformation et d’une bascule vers une société plus sobre.

Raccords : Ce mot de bascule que vous utilisez rappelle les travaux de Donella Meadows, qui a notamment participé à la rédaction du célèbre rapport Les Limites à la croissance en 1972. Elle a dressé la liste de ce qu’elle appelait les «leverage points», les points de levier, qu’elle décrit comme étant des «lieux au sein d’un système complexe (une entreprise, une économie, un corps vivant, une ville, un écosystème) où un petit changement dans un élément peut produire de grands changements dans l’ensemble.» Elle inclut dans cette liste le «mindset shift» — le changement de paradigme et de notre manière de voir le monde.

Laetitia Guibert : C’est exactement ce sur quoi je travaille : comment faire basculer les modèles organisationnels. Clairement, l’approche purement stratégique aujourd’hui ne suffit pas. Ça fait 50 ans que le rapport Meadows est sorti. Ça fait 50 ans qu’on sait qu’on se rapproche année après année de ce qui a été prévu par le rapport Meadows. Et pour autant, on n’arrive pas à faire basculer notre société, nos comportements. Qu’est-ce qu’on a oublié de prendre en considération ? Le facteur humain !

De ce constat, j’ai créé le projet ACT Transition qui a pour objectif d’accompagner la transformation comportementale des organisations. Pour commencer, je me suis mise à la recherche de tous les acteurs et actrices qui pouvaient s’intégrer dans cet écosystème du facteur humain lié à la transition écologique. Et j’ai croisé le chemin d’Alexis Klein et de Benoît Rolland de Ravel, avec qui j’ai cofondé l’association de la Fresque des Nouveaux Récits.

L’intention de la Fresque des Nouveaux Récits est de comprendre à quel point les histoires que nous créons dans notre organisation et dans notre société ont une influence sur nos comportements. Ces récits peuvent être à la fois de véritables freins à la transition écologique tout comme ils peuvent servir de leviers.

Avec la fresque, nous voulons contribuer à faire émerger un futur désirable, compatible avec les limites planétaires, grâce à l’imagination.

Raccords : Expliquez-nous un peu ce que sont les récits pour vous et pourquoi ils sont si importants.

Laetitia Guibert :  Dans le livre «Sapiens» de Yuval Noah Harari, on apprend que 70 000 ans avant notre ère a eu lieu la révolution cognitive qui a permis à Homo sapiens de se doter de la capacité à imaginer, ce qui a fait de l’être humain une espèce fabulatrice.

Nous sommes une des seules espèces au monde qui produit des récits fictifs et qui coopère en très, très grand nombre et sur des échelles de temps et d’espace très longues et très larges grâce à ces récits.

Un exemple : l’argent. On a réussi à donner une réalité matérielle à des billets, à des pièces. Pour autant, il suffit que vous alliez dans une communauté qui n’utilise pas l’argent pour ses échanges pour voir que c’est un concept inventé. Votre bout de papier ne représentera rien pour l’autre parce qu’il ne se raconte pas le même récit que vous. Or, le récit de l’argent montre bien à quel point on est capable de coopérer puisque des peuples à l’autre bout du monde qu’on ne connaît même pas ont eux aussi ce concept d’argent.

L’espèce humaine est très sociable et elle a besoin du groupe pour survivre. Afin de s’entendre avec les autres, elle a créé les normes sociales. Pensez aux normes de politesse, d’habillement, de distanciation sociale. Ces normes sont évidemment essentielles, parce qu’on a besoin de coopérer dans notre société. Mais elles peuvent être aujourd’hui des freins à la transition écologique. On a plein de normes sociales un peu inconscientes, du style «pour être en bonne santé, il faut manger de la viande tous les jours.» Qui a dit ça ? C’est une histoire qu’on se raconte. «Pour voyager, il faut voyager loin.» ; «Pour être libre, il faut avoir une voiture.»

Ces normes sociales sont plus ou moins conscientes. Le problème est que beaucoup d’entre elles sont incompatibles avec nos enjeux de transition. Je les appelle des normes «socio-écocidaires».

Ces normes peuvent aussi être un véritable levier, pourvu qu’on les pense autrement. On pourrait diffuser des normes sociales qui sont désirables et plus compatibles avec les enjeux de transition écologique. Par exemple, nous pourrions rendre évident le fait que voyager localement épanouit tout autant que voyager loin. Nous pourrions transformer les normes sociales sur la mobilité, sur l’alimentation, sur le logement. Est-ce qu’il faut que tout le monde ait une maison, un pavillon avec un grand jardin, une belle piscine ou est-ce qu’on va vers plus d’habitats partagés ? Est-ce que l’habitat partagé pourrait être une nouvelle norme sociale ? Et comment on transforme ces normes ?

Raccords : Justement, c’est le rôle de la Fresque des Nouveaux Récits de créer de nouvelles histoires, des nouvelles normes sociales. À quel point croyez-vous qu’il sera possible de changer ces normes socio-écocidaires ? Croyez-vous réellement être capable de convaincre tout le monde de changer de point de vue ?

Laetitia Guibert : Il n’est pas nécessaire que tout le monde soit convaincu pour avoir un effet. Selon certaines théories, pour qu’un comportement devienne commun dans une société, il faut que 15 % de la population l’adopte.¹ On parle parfois des «early adopters», de la «early majority» et avant eux on a les «innovators». Plus on a de personnes influentes dans ces premiers 15 %, plus le point de bascule se fait rapidement.

Comment on arrive au point de bascule social ? En diffusant de nouveaux récits.

Il y a vraiment trois intentions dans la fresque. C’est un, de faire comprendre à nos participants et participantes que l’être humain est une espèce fabulatrice, qu’on raconte des histoires tout le temps, que les récits construisent notre société. Ensuite, on veut faire comprendre que dans ces récits, certains d’entre eux freinent la transition écologique. La bonne nouvelle, et c’est la troisième intention de l’atelier, c’est qu’on a la capacité de dépasser ces récits dominants grâce à la création et à la diffusion de nouveaux récits. Si on a été capable de créer ces récits qui aujourd’hui bloquent la transition, ça veut dire qu’on est capable d’en inventer d’autres.

Raccords #14 : Redéfinir nos normes sociales pour vaincre l'impasse socio-écologique. Un entretien avec Laetitia Guibert, animatrice de la Fresque des Nouveaux Récits.

Photo : Courtoisie Laetitia Guibert

Raccords : Quel est le rôle de l’art, des productions culturelles dans la diffusion de ces nouvelles idées ? On sait déjà que le storytelling peut être un levier pour le changement social. Comment les nouveaux récits peuvent-ils influencer les artistes ?

Laetitia Guibert :  Suite à la Deuxième Guerre mondiale, les États-Unis ont profité de leur position dominante pour, en France, faire accepter les accords Blum-Byrnes. Dans ceux-ci, on supprimait les quotas sur les films hollywoodiens en France. Les États-Unis avaient bien compris la puissance que pouvait avoir la diffusion de films sur les imaginaires occidentaux, notamment, et à quel point on pouvait influencer les comportements par le cinéma, par le théâtre. C’est ce qu’on appelle le «Soft Power». C’est ainsi que le récit du succès et du bonheur a été transformé pour se baser sur cette conception nord-américaine de la possession matérielle, de l’accumulation et de la démesure.

Cyril Dion, réalisateur du documentaire Demain, et l’actrice Marion Cotillard ont lancé une boîte de production nommée Newtopia dont l’objectif est de promouvoir «The New Ecological Way of Life» — un clin d’œil à ce moment historique où les États-Unis imposent leur «American way of life».

L’idée est de produire des imaginaires autour de mondes désirables. Parce que des films sur la destruction du monde, ça, il y en a plein. Par contre, des films qui promeuvent des normes sociales plus désirables, une société qui vit plus en harmonie avec le vivant, il y en a bien peu à citer.

Pour le moment, beaucoup des récits qu’on se fait sur la société en 2100 concernent l’effondrement, la colonisation d’une autre planète. Ce sont souvent des récits alarmistes. On dit : «on va tous mourir. La vie va disparaître.» Le problème de ces récits alarmistes, c’est qu’ils ont tendance à nous plonger dans l’immobilisme. Pourquoi ? Parce qu’ils créent beaucoup de dissonance cognitive, une distance entre nos convictions et nos actes. La majorité d’entre nous n’a pas la conviction profonde de vouloir détruire la vie sur Terre et pourtant, elle adopte des comportements en ce sens au quotidien. Cela crée de la dissonance, ce que notre cerveau n’aime pas. Il trouvera donc des astuces pour l’atténuer. La bonne manière de réduire la dissonance serait de changer nos comportements pour les aligner sur nos convictions. Mais beaucoup d’entre nous vont plutôt changer leurs convictions pour les aligner à leurs comportements. Ça peut passer par du déni de responsabilité, on se dira « ce n’est pas ma faute, finalement, d’autres gens polluent plus que moi. » Ça passe aussi par de la rationalisation cognitive, où on banalise les informations qu’on reçoit : «ce n’est pas grave de prendre l’avion de toute façon, que j’y aille, que je n’y aille pas, l’avion, il partira quand même. Donc, autant que j’y aille.»

Sans compter que plus on fait peur aux gens, plus on augmente leur dissonance cognitive. Et dans ce cas, les stratégies de sortie «faciles» sont la trivialisation, la rationalisation cognitive et le déni de responsabilité — qui mènent au maintien du statu quo. Cognitivement, faire peur ne fait pas changer.

Il faut qu’on arrête de diffuser des récits sur le monde de demain qui font peur. Parce que si on veut créer du changement de comportement, on crée l’inverse cognitivement parlant. Donc il faut qu’on crée ce qu’on appelle des utopies réalistes désirables sur le monde de demain pour donner envie aux personnes de se projeter dans un monde qui est cool, tout en étant réalistes.

Raccords : Les gens sont-ils réceptifs à ce discours ? Sentez-vous de la résistance au changement que vous proposez ?

Laetitia Guibert :  Ça dépend. Lorsqu’on l’offre au grand public, la fresque attire beaucoup celles et ceux qu’on appelle les pionniers de la transition — les fameux «innovators» et «early adopters». Ces gens sont déjà disposés à écouter les arguments en faveur de la transition.

Pour embarquer le plus de monde, l’atelier se structure autour des trois phases de la conduite du changement.

Nous commençons avec une première partie qui consiste à organiser cinq lots de cartes avec des liens de causalité pour découvrir les grands récits qui structurent nos sociétés. À travers cette partie, nous tentons de montrer que le statu quo autour des récits dominants est illégitime. À l’aide de cartes, un peu comme on le voit dans la Fresque du Climat, on identifie les cinq cartes Verrous qui sont des freins à la transition écologique.

Puis, nous montrons aux participantes et aux participants que ce statu quo peut être changé. On apporte des cartes Solutions pour aider à répondre à la question : comment dépasser ces récits ? Comment je me mets en action ?

Enfin, la dernière partie consiste à démontrer aux participantes et aux participants comment activer ce changement grâce à l’imagination de nouveaux récits. Cette partie s’appelle la Fabrique des Utopies Réalistes, qui a été développée par Benoît Rolland de Ravel. L’objectif est d’amener les participantes et les participants à imaginer l’émergence d’une nouvelle norme sociale plus compatible avec les enjeux de transition écologique. Le groupe va se projeter en 2030 et raconter comment, en sept ans, huit ans, une norme sociale aura évolué pour passer, par exemple, d’une alimentation carnée à une alimentation végétarienne.

En s’adressant aux pionniers et aux pionnières, on espère leur donner l’opportunité de «s’empouvoirer» face au sentiment d’impuissance qui est fréquent dans ces milieux. Savoir que nous faisons partie de ce 15% permet de réaliser que le travail est moins énorme qu’il ne semble.

J’aime bien donner des exemples concrets. Pas forcément en lien avec la transition écologique, mais par exemple en France, post Covid, il y a eu un gros bousculement vis à vis du télétravail. Avant Covid il y avait beaucoup de réticences, beaucoup de croyances très négatives sur le fait de télétravailler. «Je ne peux pas contrôler mon collaborateur, il ne fait rien. Il ne va pas être efficace. Je ne peux pas voir s’il travaille réellement, etc.» Il nous a fallu une pandémie pour démocratiser complètement le télétravail. Aujourd’hui, on se retrouve avec des entreprises qui proposent deux à trois jours de télétravail par semaine, voire qui disent «nous, on est full remote, on vous fait confiance.» Les gens qui demeuraient réticents vont en faire une à deux fois et finalement se dire : «finalement, ça devient un peu la norme, donc ça me va.»

C’est un peu le positionnement de la fresque. Ce n’est pas forcément d’aller perdre beaucoup d’énergie à vouloir faire changer les comportements des plus réfractaires. C’est de faire confiance à la courbe du changement de paradigme en disant : «on va faire en sorte d’arriver rapidement au 15%.»

Cela dit, c’est aussi un frein à la diffusion des idées que de s’adresser uniquement aux convaincus. Nous réfléchissons à la manière de diffuser ces récits pour qu’ils ne restent pas bloqués dans une bulle. Comment faire pour inspirer des personnes qui n’auraient pas été de prime abord susceptibles de tomber sur ce type de récit-là ? Nous réfléchissons aux canaux à utiliser pour les diffuser, en commençant par notre site internet. On a une partie blog qu’on alimente avec des histoires de création de récits. On en partage aussi sur LinkedIn. Il faut qu’on arrive à déployer et trouver d’autres canaux pour encore plus diffuser tous ces récits. C’est le gros chantier de l’année 2023.

Raccords : Vous parlez beaucoup des changements de perception des individus. Mais quelle est la place de ces récits dans les entreprises ?

Laetitia Guibert :  Une entreprise est remplie de récits. Pensez par exemple à l’idée qu’une entreprise, c’est là pour faire de la croissance. Qu’une entreprise, c’est là pour maximiser le profit pour ses actionnaires. C’est une grande histoire qu’on se raconte. C’est parce que toutes les entreprises partagent ce récit que ça fonctionne comme ça, mais on peut très bien imaginer d’autres récits. C’est d’ailleurs ce qui est en train de se passer en France, où on a un gros mouvement sur les sociétés à mission, appelées aussi les B Corp.

Dans ces sociétés à mission, le récit de l’entreprise n’est plus uniquement centré sur le fait de créer de la richesse sur un territoire. C’est aussi de se dire que l’entreprise peut être un acteur sociétal et contribuer au bien commun. En changeant l’histoire qu’on se raconte sur les entreprises, on change les processus et donc les comportements. Un autre lien un peu plus sociétal, c’est qu’aujourd’hui, on évalue la richesse et la puissance d’un pays à son PIB. Mais c’est nous qui décidons que c’est le bon indicateur. Ça pourrait être autre chose. On pourrait dire que ça serait plutôt le bonheur intérieur brut plutôt que le produit intérieur brut. C’est à nous de décider.

Les récits alternatifs sont encore tout petits, mais en leur faisant prendre plus de place, en convainquant de plus en plus d’entreprises de suivre le nouveau modèle, on arrivera au point de bascule.

Nous offrons de plus en plus souvent la fresque en entreprise. Dans ce cas, la seconde partie, plutôt que s’intéresser aux «utopies réalistes» consistera à imaginer «les entreprises du monde d’après». Encore une fois, on se projette en 2030, mais cette fois-ci on se demande à quel objectif du développement durable, par exemple, les entreprises pourraient contribuer. On se raconte ce qui aura été mis en place dans l’entreprise pour changer le modèle d’affaires. L’exercice est très puissant parce qu’il ressemble aux exercices de prospective ou de vision. Mais on se demande plutôt comment passer d’entreprise profitable à entreprise contributive.

Raccords : On commence à voir apparaître des indicateurs alternatifs, par exemple les Indicateurs du bien-être au Québec où on s’intéressera à l’écart salarial entre les hommes et les femmes, la biodiversité, l’environnement ou la vitalité des langues autochtones comme marqueurs de succès de notre économie. Ce que vous proposez, finalement, c’est de remplacer les indicateurs traditionnels par des manières de mesurer l’impact d’une entreprise sur la société. Mais comment ces nouveaux indicateurs, qui sont issus d’un nouveau récit sur ce qu’est le succès, sont-ils reçus en entreprise ? Justement, là, vous ne vous adressez pas seulement aux personnes convaincues, aux «early adopters».

Laetitia Guibert :  Avec la première partie de la fresque, on voit qu’une grande part de nos comportements aujourd’hui sont influencés par des récits, par des normes sociales, par des histoires qu’on se raconte de manière très inconsciente. Cette découverte peut générer de la réactance de la part de participantes et des participants qui ne sont pas d’emblée convaincus.

Il est vrai qu’on dévoile avec cette fresque qu’une grande partie de nos comportements sont conditionnés par des facteurs humains invisibles. Il y a le biais cognitif, le biais du conformisme. Les études sur les sciences cognitives montrent qu’on prend 35 000 décisions par jour et que plus de 90% d’entre elles sont prises en mode automatique, de manière assez irrationnelle.

Une réaction qu’on voit souvent est : «êtes-vous en train de me dire que je n’ai pas de libre arbitre ?» Les gens aiment bien penser que c’est leur choix de vouloir ou d’espérer un jour posséder une grande maison, un grand jardin, une grosse voiture et de faire des voyages tous les ans. L’histoire leur vient de leurs parents, la société leur vend cet idéal.

En entreprise, particulièrement, la réactance viendra des personnes pour lesquelles le récit de l’organisation est tellement ancré que penser l’entreprise sous un autre prisme que l’approche financière n’est pas possible. Pour ces gens, une entreprise qui n’est pas performante financièrement, ça n’existe pas.

Raccords : Il semble donc que le rôle des coachs est particulièrement important dans ce processus.

Laetitia Guibert :  Tout à fait. Les coachs doivent posséder des outils pour permettre aux personnes de faire le pas de côté. C’est pour ça que lorsque nous offrons la fresque en entreprise, les personnes qui animent sont des expertes qui ont suivi une formation poussée pour qu’elles aient la capacité de dérouler l’expérience de la meilleure façon. Notamment en gérant ces réactances qui peuvent arriver.

À la fin du processus, on constate encore et encore qu’on peut très bien décider d’imaginer un autre fonctionnement d’entreprise. Plus les entreprises seront nombreuses à suivre ce nouveau modèle, plus nous nous approcherons du point de bascule.

¹ The Tipping Point: How Little Things Can Make a Big Difference, Malcolm Gladwell

À propos de notre invitée
Détentrice d’une maîtrise en sciences, développement durable et éco-innovation, Laetitia Guibert a travaillé pendant 10 ans à accompagner des entreprises dans la mise en place de stratégies de développement durable. Désireuse d’accélérer le changement, elle a lancé la Fresque des Nouveaux Récits, à travers laquelle elle invite les gens à «  inventer de nouveaux récits autour de la transition pour modifier l’architecture cognitive qui régit nos comportements. » Elle a obtenu une certification en Approche Neurocognitive et Comportementale (ANC) qui lui permet de combiner la neuroscience à la RSE.

Lisez les autres rubriques de ce numéro

Autres numéros de Raccords