#05, Mai 2020
L’ESSAI
Le capital social à Montréal : vecteur de résilience des communautés et de la transition écologique
Marieke Cloutier, Sidney Ribaux et Irène Cloutier
C’est dans le cadre de la démarche des 100 villes résilientes que Montréal a élaboré sa première stratégie en la matière et créé en 2016 sa première instance consacrée à la résilience. Trois ans plus tard, l’écologiste Sidney Ribaux est nommé à la direction du Bureau de la transition écologique et de la résilience, qui doit tenir un rôle de premier plan dans les efforts de la métropole vers la carboneutralité.
Depuis près de deux ans, la Ville de Montréal met en œuvre le plan d’action de sa première stratégie de résilience urbaine visant à soutenir le développement d’une communauté alerte, engagée et inclusive face aux défis sociaux, économiques et environnementaux. Avec la création du Bureau de la transition écologique et de la résilience (BTER) en janvier 2019, Montréal vient ancrer la résilience urbaine et communautaire dans un contexte de transformation en profondeur de notre société et souligne l’urgence de prendre les mesures nécessaires pour atteindre en 2030 et 2050 les objectifs qu’elle s’est fixés en matière de réduction de GES et de carboneutralité, d’équité climatique et d’inclusion sociale, de protection des écosystèmes et d’adaptation au climat changeant.
Intégrant à la fois des spécialistes de la résilience, du développement durable et des changements climatiques, le BTER est désormais doté d’une équipe et d’une direction distinctes. Cela lui permet d’assumer pleinement ses fonctions de planificateur et de conseiller auprès des unités opérationnelles. Il peut dès lors se consacrer entièrement au développement de nouvelles mesures qui auront un véritable impact systémique sur les façons de faire de l’appareil municipal. Le BTER travaille également de concert avec les unités de services à la population afin de veiller à ce que les efforts déployés en matière de résilience par les divers organes municipaux se complètent et tendent vers un but commun.
En matière de résilience des communautés, la Stratégie montréalaise pour une ville résiliente met l’accent sur des actions qui développent la capacité d’agir des citoyens. Une de ces actions est centrée sur la compréhension, le développement et la mesure du capital social des citoyens, ce dernier étant défini par Daniel Aldrich, professeur de science politique à la Northeastern University de Boston, comme l’ensemble des ressources offertes aux individus par l’entremise de leurs relations sociales. Qu’il s’agisse d’un frère, d’un enfant ou d’une amie qui veille sur nous, d’une voisine ou du représentant d’un organisme communautaire qui nous apporte le soutien dont nous avons besoin, ou encore, celui d’une autorité publique qui agit en notre faveur et qui s’assure du respect de nos droits : toutes ces personnes génèrent au quotidien, mais aussi lors des situations de crise comme celle que nous traversons aujourd’hui, un capital social d’une valeur inestimable.
De plus en plus de recherches indiquent que le capital social des individus est l’un des principaux moteurs de leur résilience et de celle de leur communauté. Lors d’une canicule par exemple, l’isolement social de certains individus devient une importante source de vulnérabilité. L’enquête épidémiologique de la Direction régionale de la santé publique sur la vague de chaleur de l’été 2018 à Montréal nous le rappelle. Le sociologue américain Eric Klinenberg est allé encore plus loin dans son analyse des impacts de la canicule de 1995 à Chicago. Par l’étude des conditions et des infrastructures sociales dans deux quartiers fortement défavorisés de la Ville des Vents, il a démontré l’importance de ces indicateurs sociaux pour expliquer la divergence de leur taux de mortalité. Les citoyens résidant dans des quartiers pourvus de places publiques dynamiques et sécuritaires, d’artères commerciales actives et de nombreuses organisations et infrastructures communautaires sont mieux outillés pour faire face à ce genre de choc climatique.
Le capital social est aussi un élément important de l’action collective : la mobilisation massive de l’automne 2019 à Montréal en faveur de l’environnement nous le montre bien, les liens d’amitié, l’appui parental et le soutien d’organismes clés auprès des organisateurs ayant fortement contribué à son succès. Il nous faut maintenant canaliser cette énergie et cette cohésion sociale afin de transformer véritablement nos milieux de vie. C’est pourquoi la mobilisation des citoyens et la résilience des communautés occupent une place centrale dans le plan climat sur lequel travaillent activement le BTER et ses partenaires internes et externes depuis maintenant près d’un an. Cette transition à Montréal ne pourra se faire qu’avec le concours des citoyens au quotidien.
Cela dit, le capital social ne pourra jamais remplacer un filet social fort, l’accès universel aux soins de santé, aux ressources nécessaires pour subvenir à ses besoins de base et à un logement abordable qui assurent l’équité sociale dans une société. Par contre, la force des liens sociaux dans une communauté, la confiance entre les citoyens, le sentiment de sécurité et d’appartenance à un quartier et la volonté de participer au développement de sa ville sont essentiels à la capacité de résilience d’une communauté. Ils soutiennent aussi la cohésion sociale et le bien-être des individus, et aider à contrer l’isolement. Ces éléments, souvent intangibles, demeurent difficilement quantifiables.
À Montréal, il nous manque encore certaines données locales pour bien saisir nos forces et nos faiblesses en matière de capital social dans les quartiers. Et surtout comprendre comment l’administration municipale peut appuyer son développement pour renforcer la résilience des communautés dans un contexte de transition écologique. La pandémie de Covid-19 qui sévit actuellement confirme l’importance d’agir rapidement pour protéger nos populations et notre environnement contre les perturbations, climatiques et autres. Elle nous rappelle aussi cruellement que les centres urbains et leurs populations sont plus vulnérables. Les villes représentent à la fois le problème et la solution. Elles sont de grandes consommatrices d’énergie, elles tendent à exacerber les inégalités et à concentrer les risques sanitaires, industriels et technologiques; en contrepartie, elles sont un condensé de populations diverses, d’infrastructures et d’organisations qui favorisent le développement économique, la densification des quartiers et l’émergence de solutions novatrices.
Si la crise sanitaire actuelle témoigne des inégalités socio-économiques qui continuent d’affliger une grande partie de nos citoyens, principalement dans les quartiers centraux, elle est aussi un terreau fertile pour tirer de précieuses leçons sur l’adaptabilité des organismes communautaires et des infrastructures socioculturelles en situation d’urgence et analyser la mise en place en direct de réseaux d’entraide et de solidarité à Montréal. Quels mécanismes, réglementations ou outils technologiques facilitent cette agilité? Comment ces initiatives et ces organisations viennent-elles appuyer la résilience individuelle et collective à Montréal? Quel rôle supplémentaire la Ville doit-elle jouer pour appuyer et amplifier ces initiatives au cours des prochaines années? La réponse à ces questions permettra de bonifier le plan d’action en matière de résilience urbaine qui arrive, en 2020, à une étape charnière. Le BTER doit produire en fin d’année son bilan de mi-mandat: l’occasion de faire le point sur le travail parcouru et de revoir ses priorités dans le contexte actuel de pandémie mondiale.
Il est encore trop tôt pour tirer des conclusions sur la capacité de résilience de Montréal et de sa population face à cette crise sanitaire et économique. Cependant, la volonté de transformer durablement et équitablement notre ville demeure forte et s’impose aussi ailleurs dans le monde. La mairesse de Montréal, Valérie Plante, a d’ailleurs rallié le Global Mayors Covid-19 Recovery Task Force, un groupe de 11 élus internationaux qui réfléchissent au redressement post-Covid. Les volets social et environnemental tiendront une place centrale dans la relance économique de Montréal et seront développés en synergie, dans un souci d’équité et de résilience. C’est un changement majeur par rapport aux plans de relance des crises précédentes. C’est aussi de très bon augure pour la transition écologique de Montréal, qui demeure tout aussi nécessaire pour répondre au défi climatique.
Sidney Ribaux, directeur, Bureau de la transition écologique et de la résilience
Marieke Cloutier, chef de division, Bureau de la transition écologique et de la résilience
Irène Cloutier, conseillère en planification, Bureau de la transition écologique et de la résilience