#06, Septembre 2020

LE RÉCIT VISUEL

La Montagne

Pour Thaïla Kham Po, illustrateur québécois d’origine cambodgienne, la migration est un voyage sans fin qui finit par être intériorisé, par-delà les routes et les montagnes, un mouvement perpétuel vers le monde et vers soi, et parfois entre les deux. Sur l’invitation de Raccords, l’artiste, immigré au pays alors qu’il était enfant, nous présente l’interprétation symbolique et surréaliste de sa propre expérience.

 

On n’est jamais vraiment arrivé lorsqu’on arrive. Mes premiers pas sur le sol québécois étaient froids et enneigés. Les souvenirs sont vagues, mais l’odeur de l’hiver reste. Encore aujourd’hui, sentir cet air frais, le même que j’ai connu enfant, me remémore les premières fois de chaque moment dans ce monde si différent et si étranger. La première fois qu’on essaie de dire un mot en français, la première fois qu’on goûte au spaghetti, la première fois qu’on enfile un manteau, la première fois qu’on est la seule famille asiatique dans le village. À Napierville, on nous avait accueillis à bras ouverts. On était loin du village de mes parents.

Le Cambodge sombrait dans la noirceur alors que l’horreur du génocide ne faisait que commencer. Par la force des choses, mes parents ont dû fuir pour survivre et sauver leurs enfants.

L’histoire de ma famille et celle de mon pays, je ne les ai apprises que plus tard. J’ai grandi avec un accent québécois, mais je mangeais du cambodgien à la maison. J’acceptais cette dualité sans vraiment trop la comprendre; mais, comme une pièce de monnaie, je savais qu’elle comportait deux faces. Celle qui me permettait d’être accepté comme Québécois et, de l’autre côté, celle qui représentait mon héritage asiatique. Encore aujourd’hui, je roule cette pièce de monnaie dans ma poche. Avec elle, je continue de forger mon identité à travers ma famille, mon parcours, mes ambitions.

Au fond, on n’a jamais fini de devenir soi.

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